Alien : Earth – Sur Terre, tout le monde vous entendra crier

Pour la toute première série se déroulant dans l’univers d’Alien, le showrunner Noah Hawley (l’excellente série Fargo) décide de situer l’action sur Terre. Idée intéressante d’autant qu’on entrapercevait la planète à la toute fin d’Alien : Resurrection. Avec ce parti-pris, on pouvait donc attendre de la nouveauté et au final, c’est bien ce qu’apporte cette première saison même si elle reste relativement timide dans le développement de certains de ses thèmes.

L’idée de développer une intrigue sur Terre dans l’univers d’Alien n’est pas nouvelle. Dès la fin des années 90, plusieurs comics Aliens y développent des histoires en axant davantage leurs propos sur la cupidité des mégalopoles et celles des humains, businessmen comme militaires, plutôt que sur les Xenomorphes, ce que feront d’autres comics, notamment le très bon Aliens : Genocide. Cet aspect, présent dans Aliens à travers le personnage de Burke, prend une toute autre ampleur dans Alien : Earth centrée autour de deux des cinq méga corporations dirigeant la Terre, autrement dit Prodigy et Weyland-Yutani, bien connu des fans. Un point de départ parfait pour Hawley qui lui permet de créer plutôt de copier ce qui a déjà été fait bien qu’on n’échappe pas à certains moments immuables (le dîner de l’équipage, l’apparition du chestburster, le synthétique déviant…). Cependant, autant dans le fond que la forme (décors plus ouverts et lumineux, musique rock, personnages inédits), Alien : Earth offre un sacré vent de fraicheur à la licence.

Débutant par le crash d’un vaisseau de la compagnie sur le territoire de Prodigy, cette dernière va tout mettre en œuvre pour récupérer la précieuse cargaison constituée de cinq races alien (dont les Xenomorphes) récupérées par l’équipage après un voyage de plus de 60 ans. Une course va alors s’engager entre les deux puissances, l’une souhaitant récupérer son dû pendant que l’autre entend mener diverses expériences afin de mieux connaître ces créatures venant de planètes reculées. D’ailleurs, si la série entreprend à mi-parcours un retour dans le temps pour revenir sur les événements antérieurs à ceux du premier épisode, plusieurs questions restent en suspens à la fin de cette S01. Bien qu’il nous tarde de voir comment le show va raccorder les éléments avec le premier film se déroulant après (les événements de Prometheus et Covenant ayant été poliment écartés), l’intérêt se situe ailleurs. En effet, bien que les aliens occupent une place importante dans l’intrigue (ils restent l’objet convoité par tous), le plus important dans Alien : Earth reste ceux qui gravitent autour, qu’ils soient humains, synthétiques, hybrides ou cyborgs. Noah Hawley s’intéresse à la nature de chacun, avec ce que ça implique de traitrise, d’ambition ou tout simplement de choix.

Alien : Earth est une série mettant en scène un grand nombre de personnages et sur ce point, chaque individu a sa place à jouer même si le scénario délaisse en chemin certains d’entre eux, à l’instar de Smee, rapidement réduit à sa condition d’enfant prisonnier d’un corps d’adulte, évoluant plus lentement que les autres et donc sujet à des réactions de son âge, autant dans sa gestuelle que son caractère. Ceci le rend forcément moins intéressant que ses comparses, tout comme Isaac et Slightly qui aura pourtant un rôle à jouer arrivé à la moitié de saison. Il faut d’ailleurs noter que la série prend son temps pour poser le contexte politique et économique ou de façon plus globale, les vrais enjeux scénaristiques, les événements ne commençant véritablement à s’emballer qu’à partir de l’épisode 4. Est-ce un mal ? Oui et non puisque le premier tiers de la série semble faire un peu de surplace en naviguant entre l’attente de certains fans et l’envie de raconter autre chose. On trouvera plus son compte dans cette dernière approche densifiant le lore et plus efficace lorsqu’il s’agit de mettre en avant les races extraterrestres inconnues jusqu’alors.

Ce postulat est la colonne vertébrale d’Alien : Earth qui construit pièce après pièce une histoire centrée sur l’humain et les expérimentations scientifiques en confrontant les desseins de chaque groupe d’individus. Si Boy Kavalier semble principalement intéressé par le besoin de trouver quelqu’un aussi intelligent que lui (humain comme alien) afin de se sentir vivant, chaque enfant devra se confronter à un monde d’adultes en essayant de comprendre ce qu’ils sont devenus. Sur ce point, il y avait sans doute matière à davantage développer des traumas puisqu’hormis la jalousie de Erana cherchant l’attention de Boy ou la dépression de Nibs, la série esquisse les possibilités offertes par de tels personnages ou même la relation entre eux et Kavalier, leur créateur, sorte de marionnettiste qui leur a donné une seconde vie, un nouveau corps, de nouvelles capacités mais aussi un nouveau nom afin de marquer encore un peu plus son empreinte sur ses « jouets ». La dimension philosophique qui en découle aurait pu donner quelque chose d’aussi profond qu’un Blade Runner à qui Alien : Earth envoie plusieurs clins d’œil, à commencer par Kirsh, synthétique aussi intriguant que le replicant Roy Batty. A la place, elle préfère se concentrer sur Wendy possédant d’étranges capacités lui permettant de contrôler les appareils connectés aux réseau de Prodigy ou bien de communiquer avec des Xenomorphes étrangement dociles en lui obéissant au doigt et à l’oeil. Pourquoi ? Comment ? Cette saison ne nous le dira pas, sa conclusion laissant davantage entrevoir une rébellion du groupe des hybrides.

Un peu frustrant, tout comme la présence desdits Xenomorphes, crédibles grâce à un mélange efficace de CGI et de costume, mais jamais effrayants car filmés de jour ou dans des endroits surexposés. Alien : Earth a beau nous rappeler à quel point ils sont dangereux dans les deux premiers épisodes, l’efficacité des séquences n’est jamais vraiment là, d’une explosion de torse vue et revue à un jeu de cache-cache entre créature et militaires. Comme pour compenser cette impression de déjà-vu, la série s’évertue à rendre les autres races malignes et menaçantes. Elle le réussit plutôt bien grâce à un aspect poisseux et parasitaire, et surtout la star du show, un œil qu’on croirait issu du The Thing de Carpenter et pouvant prendre le contrôle de n’importe quel corps après avoir délogé un des globes oculaires de l’hôte. Si la créature en elle-même respire un peu trop la CGI, elle irradie l’écran dès lors qu’elle fusionne avec son réceptacle, qu’il s’agisse d’un humain ou d’un mouton. Hawley est bien conscient de son potentiel et ne cessera de mettre l’alien en scène, entre deux dialogues pas toujours très bien écrits mais parvenant cependant à approfondir suffisamment le background de certains protagonistes.

Sans doute trop déséquilibrée pour totalement convaincre, cette première saison d’Alien : Earth sert davantage à poser les personnages, les enjeux avant d’ouvrir la voie à une S02 pour passer la seconde en développant davantage la psychologie des enfants et de Kavalier, l’intérêt des uns et des autres (à commencer par Kirsh), ou même les actions de Weyland-Yutani symbolisée par sa dirigeante ayant décidée d’accélérer les choses si l’on en croit le dernier épisode. Une fin ouverte pour une série qui a le potentiel d’aller bien plus loin en imaginant l’avenir plutôt qu’en se raccrochant à son passé bien que tout soit ici lié. C’est tout le mal qu’on souhaite à son showrunner qui semble à l’aise avec l’exercice.

Désireuse de se détacher de ce qui a déjà fait pour approfondir le lore de la licence, Alien : Earth souffle le chaud et le froid tout en témoignant d’un vrai potentiel (autant dans la forme que dans le fond) qui devra être utilisé à bon escient dans une probable S02. En l’état, le contexte est posé, les protagonistes ont encore beaucoup à dévoiler et la promesse d’une guerre de tranchées entre Prodigy et Weyland-Yutani pourrait servir de toile de fond à la suite des événements qu’on imagine d’ores et déjà plus soutenus.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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