The Last of Us S02 – La vengeance dans la peau

Après une première saison aussi fidèle à l’univers que pressée de faire rentrer l’intégralité des événements du premier jeu dans ses neuf épisodes, The Last of Us remet le couvert avec l’adaptation du second titre. D’ores et déjà découpée en deux voire trois parties, la suite de la série a la lourde tâche d’adapter des moments qui ont traumatisé des millions de joueurs tout en restant aussi explicative que possible pour celles et ceux n’ayant jamais vu un pixel de leur vie.

Alors qu’un sentiment mitigé nous étreignait à la fin de la Saison 01, on était déjà en droit de se demander à qui se dédiait finalement l’adaptation de The Last of Us : joueurs ou profanes ? Si le besoin de s’adresser à ces deux typologies de personnes se faisait ressentir via l’ensemble des scènes clés du jeu présentes dans la série, des passages originaux (le fameux Episode 03) et le besoin de tailler dans le gras pour ne garder que le meilleur du jeu, on sentait déjà les limites de l’entreprise. Fort logiquement, ces écueils sont encore plus présents dans cette nouvelle saison, d’abord parce-que la matière à adapter est bien plus dense et d’autre part, parce-que la série n’arrive clairement pas à reproduire l’émotion suscitée par le jeu qui maitrisait beaucoup mieux les thématiques abordées.

D’un jeu contemplatif à une série sans nuances

Sans épiloguer sur la construction de The Last of Us : Part II, il convient de revenir rapidement sur sa construction afin de mieux comprendre ce qui ne va pas dans son adaptation. Ceci ne pourra se faire sans spoilers, vous voilà prévenus.

Part II est un jeu intelligent à bien des égards, déjà parce qu’il a la volonté de bousculer son public, celui qui s’est épris de ses deux personnages principaux, Ellie et Joel, durant The Last of Us : Part I. Ainsi, alors qu’on nous propose à nouveau d’incarner dans son introduction Joel puis rapidement Ellie, une troisième individue s’invite à la fête, la dénommée Abby, qu’on ne connait ni d’Eve ni d’Adam. Si nous faire jouer une parfaite inconnue a de quoi nous désarçonner, la voir défoncer la crâne de Joel quelques heures plus tard a de quoi choquer le plus endurci des joueurs. Tous ces événements, auxquels on ajoutera une contextualisation solide pour présenter la communauté de Jackson, consolident une progression millimétrée, faite de cinématiques et de longs passages de gameplay servant également la narration et la tension implicite. La série, de son côté, choisit de tirer un trait sur tout ce build-up pour plusieurs raisons.

Premièrement, on sait que Part II sera adapté en plusieurs saisons avec notamment une S03 plus longue que la S02 (composée de sept épisodes) et davantage centrée sur Abby. Part II est un jeu dense, ceci nécessitant de prendre son temps pour l’adapter, ce qui fait qu’il est ici encore plus difficile d’accepter cet empressement constant avec un nombre d’épisodes plus conséquent. Cette décision s’accompagne d’ellipses donnant au show un aspect étrange où chaque scène semble simplement posée là pour faire avancer le récit de manière artificielle tout en enchainant les clins d’œil aux fans afin de contenter ces derniers.

Le deuxième écueil, directement associé au premier, concerne le manque de subtilité, de nuances de cette Saison 02 et ce dès la scène de présentation d’Abby dont on dévoile maladroitement une partie de son passé et de ses motivations, ceci minimisant énormément (en comparaison du jeu) la suite des événements et l’explication de son acte à venir. Sur ce point, difficile de comprendre et d’accepter ce parti-pris qu’on retrouve tout du long de cette saison et ce même lors de son meilleur épisode, le 6ème, réalisé par Neil Druckmann. S’attardant sur Joel et Ellie, sur leur relation, cet épisode commence parfaitement en revenant sur l‘enfance de Joel puis enchaine en adaptant l’un des plus beaux moments du jeu, la visite du musée. Parfaitement construit, bénéficiant de très beaux décors, l’épisode est aussi émouvant que son pendant vidéoludique. Sauf qu’ici aussi, les scénaristes choisissent d’enfoncer le clou en répétant une scène pour bien nous faire comprendre que Joel ment à Ellie (en écho à la fin de la S01) et que celle-ci l’a bien compris. Si tout ceci nous amène à la très belle conclusion de l’épisode (différente de celle du jeu puisqu’ici Ellie réfute totalement le geste de Joel), on peut à nouveau se demander si les auteurs n’ont pas cherché, coûte que coûte, à ne laisser aucun spectateur sur le bas côté de la route, quitte à les prendre un peu trop par la main.

Préparer l’avenir

Au delà de ses gros problèmes de narration, cette Saison 02 semble toutefois avoir eu les moyens de ses ambitions, notamment dans ses décors post apo du plus bel effet. Ici aussi, pas de surprise pour les joueurs, chaque lieu iconique étant fidèlement retranscrit. Malheureusement, ceci ne résout jamais vraiment les soucis de construction, de rythme et alors qu’on jubilera à l’approche des scènes du studio de télévision ou de l’aquarium, on déchantera aussitôt devant le traitement de ces dernières, les situations ne parvenant jamais vraiment à crédibiliser la nature guerrière d’Ellie. D’ailleurs, si les scénaristes se sont sentis obligés de débuter la série par une scène originale la montrant en train de se battre avec un adulte, on a malgré tout du mal à croire que les années ont passées et qu’Ellie les a mise à profit pour s’endurcir, en maîtrisant les armes à feu et les techniques de cac. Du côté d’Abby, on pourra aussi trouver le choix de Kaitlyn Dever (Detroit, la série Justified) assez étrange. Si la jeune actrice semble avoir plus ou moins bien cerné le rôle, son côté presque frêle empêche de reproduire cette dichotomie entre son physique et celui d’Ellie, là où la première s’était endurcie mentalement et physiquement pour sa vengeance et sa survie alors que la seconde représentait son contraire en privilégiant un aspect plus «sneaky» dans l’approche des problèmes. On trouvera donc dommage que le showrunner n’ait pas demandé à l’actrice de prendre du muscle puisque la stature initiale faisait partie du personnage, notamment dans sa capacité à faire face à des situations perdues d’avance tout en étant l’égal de n’importe quel homme de son groupe.

Et dieu seul sait que cette Saison 02 ne manque pas de protagonistes entre le WLF mené à la baguette par Bernard Lowe (un excellent choix de casting) dans le rôle d’Isaac, les Lucioles ou bien encore les Scars qu’on devrait apprendre à mieux connaître dans la Saison 03. A l’image de la Saison 01, les infectés font une fois encore de la figuration, bien que les deux premiers épisodes les mettent à l’honneur, autant lors d’une course-poursuite tendue que pendant une séquence impressionnante, inédite et renvoyant à l’attaque de Winterfell par les Marcheurs Blancs de Game of Thrones. Si tout ceci concoure à poser le contexte des événements à venir, cette S02 aurait sans doute gagné à mieux équilibrer sa narration en alternant davantage entre Ellie/Dina, dont l’amour naissant nourrira les saisons prochaines, et Abby, plutôt que d’opter pour une façon de faire proche de celle du jeu. Il y a encore beaucoup à raconter, espérons que la S03 gomme les écueils cités afin de nous offrir un récit qui saura prendre son temps et accélérer quand il est nécessaire.

La Saison 02 de The Last of Us laisse un fort goût d’inachevé dans sa précipitation à enchaîner les séquences quitte à sacrifier la plus petite once de nuance quand il s’agit de présenter les nouveaux personnages. Une fois encore trop pressée d’en finir, la série nous laisse souvent sur notre faim malgré son exactitude lorsqu’il s’agit de reproduire fidèlement les lieux de l’intrigue. Malheureusement, ceci ne minimise en rien une écriture souvent maladroite quand il s’agit de poser un contexte pour le futur du show. Jamais fuite en avant n’aura autant donné l’impression de courir après le temps tout en multipliant les clins d’oeil aux fans alors que la série ne s’adresse pas vraiment à eux.

Yannick Le Fur

Yannick Le Fur

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