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The Last of Us S01 – Le speedrun de HBO

Les bonnes adaptations de jeux vidéo se font rares, très rares même et ce n’est certainement pas Resident Evil qui nous dira le contraire. Chapeautée par Craig Mazin (l’excellente mini-série Chernobyl) et Neil Druckmann (cocréateur de la licence), produite par HBO, The Last of Us avait de sérieux atouts dans sa manche. Après avoir abattu ses cartes, un constat s’impose au terme des neuf épisodes constituant cette première saison : la franchise de Naughty Dog a réussi son examen de passage tout en semblant étrangement pressée d’en finir.

Plébiscitée par des millions de joueurs pour sa qualité d’écriture, la franchise The Last of Us n’aura jamais caché ses liens de parenté avec le cinéma, de par, notamment, son envie de proposer une réalisation inspirée servant aussi bien la progression de l’histoire que le traitement de ses personnages. Si on pouvait donc se questionner sur l’intérêt d’une adaptation d’un jeu aussi cinématographique, l’envie de toucher un nouveau public était en soi une réponse suffisante. En revanche, difficile, quand on a plusieurs heures de jeu au compteur, de ne pas comparer la série avec le matériau original, qu’on soit enclin ou non à se laisser porter par une histoire qu’on connait déjà sur le bout des doigts.

The Last of Us Part I

Si l’exercice consistant à trouver le point d’équilibre entre le besoin de reprendre le cheminement du jeu et l’envie d’aller de l’avant en modifiant certaines choses était délicat, les showrunners s’en sont brillamment sortis. En effet, alors que les passages obligés (l’introduction, le flash-back d’Ellie & Riley, l’apparition du Colosse…) sont bel et bien présents, les scénaristes ont modifié certaines choses afin d’apporter un peu de sang neuf. On pensera notamment aux courts passages pré-pandémie afin de présenter la situation à travers les yeux des médias et autres virologues. Astucieux puisque permettant de dépeindre le tableau de cette humanité désemparée face à ce mal qu’elle sait ne pas pouvoir contrôler et trouvant écho dans la récente pandémie de Covid. Au fur et à mesure des épisodes, Mazin et Druckmann vont ainsi affiner leur univers tout en faisant progresser Joel et Ellie à travers une partie des Etats-Unis, le premier devant toujours ramener à bon port la seconde, seul espoir de l’humanité pour lutter contre le virus. D’ailleurs, on notera ici une autre modification du script initial voulant que les Clickers, créatures infectées par le Cordyceps, soient psychiquement reliés entre eux. Idée intrigante qui ne sera malheureusement que rarement utilisée, hormis lors de la mort d’un personnage luttant contre l’infection galopante qui parcoure ses veines et l’enjoint à rejoindre le groupe d’infectés et celle d’en finir.

Alignant les plans post-apo de villes en friche, présentant les rapports entre la FEDRA (les restes d’un gouvernement devenu totalitaire n’hésitant jamais à tirer sur des individus, infectés ou non) et le groupe des Lucioles, survivants croyant coûte que coûte à un vaccin et dont Ellie représente une sorte de Saint Graal, la série presse le pas pour arriver à sa conclusion mais prend néanmoins le temps, à travers un fantastique Episode 3, de s’attarder sur la relation entre Frank et Bill. Esquissée dans le jeu, elle sert dans la série à montrer une autre facette du monde d’après, à rappeler que le bonheur peut encore subsister tout en renvoyant à une sorte de version fantasmée (et tragique) de l’histoire d’Ellie. Brillamment interprété par Nick Offerman et Murray Bartlett, l’épisode aura fait couler beaucoup d’encre sur la toile tout en se montrant puissant et représentatif de cette envie de s’affranchir, dans une certaine mesure, de la série.

Bien entendu, tout ceci n’aurait pas été possible sans un casting à la hauteur et bien que le choix de Bella Ramsey ait été vivement critiqué par une partie des fans, la jeune femme (qui nous avait déjà livré une prestation époustouflante dans Game of Thrones) s’en sort avec les honneurs grâce à un jeu évoluant au fil des épisodes à l’image de sa relation avec Joel campé par un solide Pedro Pascal. Si on ne peut tout de même s’empêcher de se demander ce qu’aurait pu donner dans le rôle Maisie Williams (la Arya Stark de GoT), un temps pressentie pour le rôle d’Ellie dans une première tentative d’adaptation de la série en film (produit par Sam Raimi) en 2015, difficile de rester de marbre face au jeu des acteurs, qu’ils soient principaux ou plus fugaces à l’image de Scott Shepherd incarnant parfaitement le controversé David qui gagne ici en spiritualité afin de cacher ses pulsions derrière le masque de la foi. Pour autant, cet arc est très représentatif de ce qui ne va pas dans la série semblant constamment dans l’urgence afin de pouvoir faire rentrer l’ensemble du premier jeu dans cette unique saison composée de neuf épisodes à la durée variable.

The Last of Us Part IX

Ainsi, si il y avait matière à développer l’intrigue de David sur deux épisodes, il est vrai que la série aurait gagné à globalement être rallongée voire couvrir le premier jeu sur deux saisons. Difficile de savoir pourquoi les showrunners se sont sentis obligés de prendre le chemin inverse tant le succès était pressenti. Ce dernier sera d’ailleurs au rendez-vous avec des audiences croissantes. De fait, si le visionnage de la série reste agréable et qu’il est plaisant de constater que HBO a mis les petits plats dans les grands (bien que certains plans à vfx soient peu convaincants), l’évolution de la relation entre Ellie et Joel semble parfois factice, la faute à un monde manquant cruellement de danger alors que c’est ce qui cimente pourtant dans le jeu les rapports entre les deux personnages qui, plus d’une fois, se sauvent mutuellement.

Dans la série de HBO, la violence se fait bien plus timorée, se déroulant souvent hors champ, les humains sont moins vicieux (hormis lors de la présentation de la FEDRA), les infectés sont beaucoup moins présents et semblent presque faire de la figuration en dehors de deux épisodes, l’un les présentant lors d’une séquence dans un musée calquée sur celle du jeu et l’autre à travers une scène d’action épique mais semblant presque posée là pour atteindre le quota minimum de créatures massacrant alliés comme ennemis à commencer par Kathleen, l’un des rares personnages inédits du show n’apportant rien à l’intrigue et finissant d’ailleurs de façon insignifiante. En somme, là où il aurait fallu davantage de moments de tension (synonyme de phases de gameplay dans le jeu) pour crédibiliser l’état de Joel, d’indifférent vis à vis d’Ellie à quelqu’un prêt à sacrifier le monde pour sauver la jeune fille, la série aura préféré miser sur une construction plus posée (et donc moins couteuse), passant par le jeu d’acteur mentionné plus avant, de bons dialogues et les musiques discrètes mais oh combien importantes de Gustavo Santaolalla, mais ne parvenant pas totalement à camoufler les manques par rapport au matériau d’origine.

Bien que la série soit une adaptation convaincante de The Last of Us, votre ressenti différera probablement si vous avez touché ou non au jeu. Alors que Druckmann et Mazin se sont évertués à plaire aux profanes comme aux fans en truffant (habilement) cette saison de références au titre tout en soignant les dialogues et le casting, difficile d’être totalement convaincu, la faute à un empressement constant, des créatures finalement peu présentes et un univers manquant parfois de substance, de danger pourtant indispensable pour légitimer l’évolution de la relation entre Ellie et Joel.

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The Lazarus Project S01 : Composer avec le passé

Une boucle temporelle, une fin du monde, une agence gouvernementale garante du devenir de l’humanité. Tout ceci aurait pu donner une série à mi-chemin entre Demain à la Une et Timeless et se terminer au bout d’une saison en passant totalement inaperçue. Sauf qu’il n’en est rien. The Lazarus Project (initialement diffusée en 2022 sur la chaîne anglaise Sky) brille à tous les niveaux et traite son sujet avec originalité et intelligence. Retour sur l’une des meilleures séries de genre du moment.

Très usité dans le milieu cinématographique et télévisuel, le voyage temporel est un élément qui a été abordé de façons diverses et variées par nombre de réalisateurs. De fait, difficile aujourd’hui d’utiliser ce concept sans tomber dans une certaine redite. Si The Lazarus Project ne réinvente pas la roue, il embrasse parfaitement son sujet en jouant avec ses codes à travers moult idées toutes plus intéressantes les unes que les autres. Cependant, les deux premiers épisodes, aussi bons soient-ils, ne laissent pas vraiment présager d’une telle qualité d’écriture émanant de la plume anglaise de Joe Barton n’ayant à son actif (notable) que la série Giri/Haji annulée après une seule saison.

Un air de déjà-vu ?

George est un gars sans encombre. Il vient d’obtenir un prêt bancaire pour l’application qu’il développe, il a une copine, Sarah, qui va avoir un enfant et qu’il compte bien épouser. Bref tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais un jour, George se réveille et tout lui semble familier. Vous savez, cette fameuse impression de déjà-vu. Si pour beaucoup d’entre nous, ceci s’arrête à l’état de sensation, chez George, le tout prend une tournure plus étonnante puisqu’il vient bel et bien de se réveiller six mois plus tôt. Ce postulat de départ, tout le monde ou presque le connaît tant il a été utilisé maintes et maintes fois. The Lazarus Project ne déroge pas à la règle en usant de prime abord des mêmes codes et si le premier épisode pose les bases avec un délicieux humour anglais (la blague du COVID), le deuxième verse davantage du côté de l’action à travers une course poursuite en plein Paris reconstitué (tant bien que mal) du côté de la République Tchèque.

En effet, George ne tarde pas à rejoindre l’agence Lazarus Project, une sorte de garant de l’ordre mondial qui après avoir découvert le moyen de revenir dans le passé, l’utilise pour empêcher des catastrophes de se produire. Une attaque terroriste meurtrière qui a fait des milliers de morts ? Une bombe nucléaire qui explose ? Un virus qui décime les populations ? Pas de souci, une fois le problème identifié, les équipes de Lazarus Project vont tout mettre en œuvre pour le résoudre et si ils échouent, retour à la case départ, il y a six mois. Jouissive bien qu’assez classique dans ce qu’elle propose au tout départ, la série passe la seconde dès son fantastique troisième épisode aussi intelligent que profond, aussi passionnant que dramatique.

Une seconde chance

Cet état de faits tient tout d’abord à un élément qui n’a l’air de rien dans la conceptualisation du retour dans le temps mais qui va pourtant prendre tout son sens dans la structure narrative de certains épisodes. Ainsi, dès le premier d’entre eux, la série intègre un concept original synonyme de sauvegarde. Tous les six mois, l’agence en effectue une à minuit, de sorte que si une catastrophe se passe après ladite sauvegarde et nécessite un retour dans le temps, les personnes conscientes de ce retour (en somme toutes le personnes du Project Lazarus) ne revivront «que» les derniers six mois. De ce postulat très inspiré des jeux vidéo, la série va en tirer de multiples possibilités en l’abordant de façon aussi bien comique que dramatique. Sans tout vous dévoiler, l’épisode 3 est un modèle du genre. Ainsi, tout en revenant sur le passé commun de deux agents, le scénario se concentre sur un heureux événement qui va vite devenir un effroyable cauchemar à mesure qu’on le revit encore et encore. Profond, émouvant, soutenu par des comédiens habités par leurs rôles, l’épisode s’évertue à décrire le long processus de remise en question des individus, ce qui importe pour eux, ce qui constitue leur vie future. Jouant avec la douleur psychique que peut engendrer ces multiples retours dans le passé, l’épisode est une véritable claque et s’inscrit dans une progression de saison parvenant avec une grande facilité à aborder plusieurs genres.

Certes, quelques plans à sfx ou décors censés représenter différents lieux pourront faire tiquer mais rien de suffisant pour sortir de l’intrigue d’autant que la série propose un fil rouge intéressant mettant en scène un ex agent dissident dont les motivations auront un impact certain sur George brillamment interprété par Paapa Essiedu à l’aise dans toutes les situations et qui déploiera toute une palette d’émotions dans l’épisode 5. Ici aussi, je me garderais bien de trop en révéler mais la série creuse son sujet en abordant des questions de fond et des choix moraux dont personne ne peut sortir indemne. Tour à tour drôle, étonnante et intense, cette première saison mixe tous ses atouts dans un final trouvant un subtile équilibre entre tragédie et second degré, comme pour nous rappeler ses origines tout en ouvrant la porte à une deuxième saison qui aura la lourde tâche d’aborder des pistes aussi originales tout en faisant évoluer ses personnages. On serait par exemple intéressé d’en connaître un peu plus sur l’agence en elle même ou bien encore la façon de retourner dans le temps, bien que ceci soit esquissé dans le dernier épisode. Gageons que Joe Barton saura trouver les réponses à ces questions et à bien d’autres.

Aussi brillante qu’étonnante, cette première saison de The Lazarus Project réussit un sans fautes (du moins sur le fond) en abordant le voyage dans le temps de manière intelligente et terriblement excitante. Servi par un excellent casting, une écriture précise oscillant entre humour, drame et action, le show de Joe Barton est un savoureux mélange de genres ayant l’envie de questionner son auditoire tout en lui servant une intrigue palpitante. Il y arrive haut la main, ses ambitions ne desservant jamais l’avancée de l’intrigue et le développement de ses personnages, bien au contraire.

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Dead Space Remake : Retour vers l’enfer

S’inscrivant dans cette grande vague de remakes sévissant depuis quelques années, Dead Space fait peau neuve. A la charge des artistes de Motive Studios (Star Wars : Squadrons) de remettre au goût du jour ce monument du survival-horror qui avait fait vaciller Capcom à l’époque de sa sortie et qui a récemment servi de décalque au déséquilibré The Callisto Protocol. Si Dead Space a acquis ses galons d’indispensable dès sa sortie tout en densifiant son lore au grès de ses suites, ce qu’il proposait à l’époque fonctionne-t-il toujours aujourd’hui ?

Plutôt que de nous attarder sur le sujet quasi philosophique consistant à se questionner sur l’intérêt du remake d’un jeu qui a extrêmement bien vieilli, revenons justement sur les immenses qualités de l’œuvre originale. En 2008, lorsque sort Dead Space, le jeu de Visceral Games peut être vu comme une simple contre-proposition spatiale à la saga Resident Evil, le 4ème épisode étant d’ailleurs l’une des nombreuses influences de Glen Schofield, le Game Director du titre. Pourtant, dès ses premières minutes, grâce à son aspect hautement anxiogène, ses créatures difformes pouvant surgir de partout, sa violence exacerbée et un travail exceptionnel sur le son, Dead Space marque instantanément les esprits. Tout en étant plus souple qu’un Resident Evil, le jeu prend le contrepied de RE4 (plus porté sur l’action que ses prédécesseurs) en accentuant son aspect horrifique jusqu’au boutisme. En ressort un jeu extraordinaire mêlant parfaitement les deux éléments. Ce concept sera encore amélioré dans le deuxième épisode et malheureusement en partie sacrifié sur l’autel du multijoueur et autres évolutions maladroites de la formule dans Dead Space 3. Il n’en reste pas moins que le premier volet reste culte et que ce remake accentue encore plus ses immenses qualités, notamment à travers un lore approfondi.

L’expérience Interdite

Bien que l’idée ne soit pas de repenser entièrement l’histoire de Dead Space tournant autour du brise-surface USG Ishimura qui ne donne plus signe de vie, les développeurs de Motive Studios ont plutôt choisi la solution consistant à enrichir le matériau d’origine afin de densifier la narration. Le moins qu’on puisse dire est que le tout fait son petit effet grâce à plusieurs niveaux d’amélioration. Déjà, on retiendra le fait qu’Isaac puisse enfin parler, ceci lui permettant d’interagir avec les autres personnages. Ainsi, en lui donnant plus d’humanité, ces échanges apportent davantage de fluidité à la narration se reposant toujours sur un ensemble de logs audio/vidéo et autres textes afin de nous faire découvrir ce qui s’est précédemment passé sur l’immense vaisseau. On notera également l’idée assez intéressante consistant à intégrer l’Unitologie (la religion fictive de Dead Space et critique pas vraiment masquée de la Scientologie et autres religions sectaires) dans la vie d’Isaac à travers ses parents. Dommage toutefois que l’idée n’ait pas été plus développée à l’image des quêtes secondaires, peu nombreuses (trois seulement) dont une uniquement liée à la récupération de RIGs pour ouvrir des portes recélant moult munitions et argent.

A contrario, on appréciera les nombreux hologrammes de scènes passées ou certaines cinématiques supplémentaires dynamisant le récit tout en donnant un peu plus d’épaisseur à certains personnages. Il conviendra aussi de ne pas oublier la fin alternative, disponible en New Game + après avoir récupéré 12 fragments du Monolithe. Pas vraiment raccord avec ce que racontera Dead Space 2, elle se présente davantage comme une petite cerise sur un énorme gâteau bien copieux. Toute cette matière inédite crédibilise encore un peu plus cet univers fortement influencé par quantité de jeux et autres films à commencer par l’Event Horizon de Paul W. S. Anderson. Ainsi, en offrant à Dead Space un cadre et des personnages plus crédibles (toute proportion gardée) ou du moins plus vivants, on vibre davantage pour eux et ce jusqu’à l’ultime compte à rebours.

Beauté macabre

Pour appuyer cette narration, il fallait une forme à la hauteur et sur ce point, le jeu réalise un quasi sans fautes. Certes, on pourra pester sur des animations toujours un peu rigides (surtout en comparaison du récent The Callisto Protocol) mais ce constat est contrebalancé par une très belle gestion des lumières et effets de particules. Cet aspect, qui offrait déjà un caractère très marqué à l’original, prend ici une autre dimension grâce aux avancées techniques, au travail accompli en 2008 mais aussi au talent des équipes de Motive Studios. L’exploration du brise-surface en devient une fois encore fascinante d’autant que le travail sur les surfaces métalliques et organiques, amène une évolution de l’habitacle aussi glauque à parcourir que fascinante à découvrir. Le remake conservant bien entendu le gore outrancier de l’original, on appréciera encore plus de démembrer, découper ou empaler le moindre Nécromorphe. Un prérequis indispensable pour progresser et synonyme du fameux démembrement tactique au cœur de la communication initiale du jeu.

Il convient en parallèle de rappeler que ce remake améliore également l’un des aspects fondamentaux du jeu original : sa bande-son. Moins que ses musiques, sobres mais efficaces grâce, notamment, à des violons stridents grinçant dès que le danger se fait trop pressant, ce sont surtout les bruitages du jeu qui accentuent l’immersion. En jouant avec cet aspect, en optant volontairement pour des silences afin de rendre le danger plus effrayant, les développeurs ont ainsi réussi à créer l’effroi avec un simple son aussi terrifiant dans sa régularité que son écho se répercutant dans les coursives du vaisseau, les râles de Nécromorphes ou le bruit de gigantesques turbines assourdissantes masquant les sons des créatures alentours. En alternant les types d’environnements (les sections du vaisseau allant des quartiers de l’équipage aux bas-fonds du vaisseau réservés au forage et à l’activité minière) et les différents lieux (intérieurs de l’Ishimura mais aussi passages dans l’espace avec ces sons sourds créant instantanément une sensation d’étouffement accentuée par la respiration haletante d’Isaac au fur et à mesure que son air diminue), Dead Space Remake se montre aussi viscéral dans ses créatures difformes que son environnement sonore, une composante essentielle de tout bon survival-horror.

Mort ou vif

Le gameplay, lui, ne s’offre aucune réelle nouveauté et profite au mieux d’une plus grande liberté permettant de visiter à sa guise l’Ishimura. Ainsi, bien que l’aventure soit toujours découpée en chapitres, rien ne vous empêchera de revenir dans n’importe quelle section du vaisseau pour récupérer les collectibles manquants ou boucler les quêtes secondaires mentionnées plus haut. On saluera toutefois quelques passages repensés à l’image de la séquence des météorites à intercepter se déroulant ici à l’extérieur et demandant au joueur de recalibrer trois canons en visant les débris spatiaux. La possibilité de voler en Zéro G, ici plus centrale, permet également de se sentir plus libre, autant dans la façon d’explorer que lors des affrontements afin de prendre la tangente pour mieux anticiper une attaque de Nécromorphes voire l’intercepter grâce à la Stase ou les nombreuses armes à disposition toujours aussi complémentaires et délicieuses à manier grâce un excellent feeling ici aussi renforcé par un traitement sonore de haute volée.

On pourra cependant déplorer que Motive Studios n’ait pas intégré un retournement rapide qui aurait été bien utile lorsqu’on se retrouve submergé de tous les côtés. Il faudra alors user au mieux de ladite Stase pour ralentir ses adversaires et faire le ménage grâce aux tirs secondaires de nos armes, particulièrement efficaces. Au rayon des reproches, mentionnons également le fait que les coffres et armoires nécessitant un pass de level supérieur n’apparaissent pas sur la map, à l’inverses des portes nécessitant ce système d’ouverture. On pourra d’ailleurs trouver cette évolution de gameplay toute relative (le jeu original ne demandant que des points de force pour accéder aux endroits les plus intéressants) puisque nous forçant à faire plusieurs allers-retours au fil de la progression. Néanmoins, cet état de faits profite du SSD minimisant drastiquement les temps de chargements. Au final, bien que Dead Space Remake concerne un petit côté suranné dans sa jouabilité, celle-ci se montre suffisamment probante pour se retrouver complètement immergé d’autant qu’en jouant sur la propension des Nécromoprhes à surgir de n’importe quel conduit ou avec certains hologrammes se déclenchant automatiquement, le sentiment d’inconfort se montre omniprésent.

Le piédestal du monolithe

A l’instar de certains remakes sortis ces dernières années, à commencer par l’excellent Resident Evil 2, Dead Space revient sur le devant de la scène grâce à sa propre réactualisation en rappelant à quel point il est un jeu extrêmement important pour le genre survival-horror. En magnifiant la forme et en affinant le fond, Motive Studios rend désormais accessible au plus grand nombre le premier opus d’une saga qui aurait pu perdurer si elle ne s’était pas confrontée aux objectifs financiers de l’époque d’Electronic Arts. Socle solide, ce premier volet ouvrira la voie à une trilogie généreuse qui, certes, se perdra dans un troisième épisode quelque peu maladroit sans pour autant remettre en question l’avenir de la série et dont les fondations d’un quatrième épisode avorté peuvent se trouver sur le Net.

On ne peut donc qu’espérer que cette version 2023 de Dead Space trouve son public pour rappeler à EA les incroyables propriétés du diamant noir qu’elle a laissé couver pendant près de 10 ans et ne demandant qu’à être à nouveau mises à profit à travers le remake des deux autres opus et un prolongement de l’histoire. L’espace est infini et les terreurs qu’il recèle sont indicibles…qu’elles émanent ou non de l’Unitologie.

Intelligent dans son approche, le remake de Dead Space use des dernières avancées technologiques pour actualiser un jeu déjà exceptionnel à la base. Si on pourra lui reprocher quelques animations rigides (encore plus en comparaison du récent The Callisto Protocol), la forme de Dead Space est d’une précision chirurgicale, des effets de lumière ou de particules en passant par son impressionnant travail sonore. Mais c’est aussi sur le fond que ce remake étonne, que ce soit à travers l’approfondissement de son lore ou une plus grande liberté nous permettant d’explorer à l’envie l’Ishimura. Tout ceci contribue à faire de Dead Space Remake un jeu fascinant tout en confirmant, si besoin est, son statut d’œuvre culte.

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Gotham Knights : Loin d’être bat !

Orphelins depuis la fin (définitive ?) de la série des Batman Arkham, les fans de DC attendaient le jeu qui aurait pu à nouveau leur permettre de survoler Gotham afin de baffer du malfrat à tout va. Alors que Rocksteady s’en était allé voir du côté de Suicide Squad, c’est chez Warner Bros Games Montréal qu’avait échu l’univers du Dark Knight. Pour autant, point de Batman dans Gotham Knights puisqu’entièrement dédié aux élèves du Chevalier Noir que sont Nightwing, Robin, Batgirl et Red Hood. Un parti pris plutôt osé mais pour autant pas dénué de sens pour qui chercherait un peu d’originalité.

Le Dark Knight n’est pas étranger à Warner Bros Games Montréal. En 2013, alors que le studio anglais Rocksteady s’attelle au développement du troisième opus de la saga des Batman Arkham, les Québécois se chargent de leur côté d’un nouvel épisode afin de combler le vide jusqu’à la sortie d’Arkham Knight. L’idée est alors de concevoir un préquel à Asylum bâti sur les (excellentes) bases des jeux de Rocksteady. C’est ainsi que Batman Arkham Origins voit le jour. Présenté comme un opus centré autour de ses combats de boss, le titre intègre également du multijoueur (anecdotique) à la charge du studio Splash Damage. Se parant d’une ambiance hivernale, Origins profite du travail de Rocksteady, le système de combat Free Flow ou bien encore la modélisation de Gotham issue d’Arkham City. Toutes les planètes semblent alignées pour que le titre rencontre autant de succès que ses prédécesseurs sauf que…le tout fonctionne moins bien dans sa globalité, la faute à une mise en scène sans inventivité, des combats de boss peu inspirés (un comble) ou bien encore une forte impression de déjà-vu. Si le studio redressera la tête via un excellent DLC se déroulant dans le manoir Wayne investi par Mister Freeze, cette histoire nous montre que le studio avait à l’époque les épaules moins solides que celles de Rocksteady. Neuf ans plus tard, leur nouvelle incursion à Gotham a donc de quoi intriguer d’autant qu’en lieu et place de Batman, ce sont ses protégés qui lui volent la vedette.

Gotham nous fait la cour

Optant à nouveau pour du semi open world, on ne sera pas vraiment surpris par le fait d’évoluer dans une Gotham blindée d’activités, bien que manquant de vie. En premier lieu, on sera étonnés que techniquement et visuellement, le tout soit moins beau et maîtrisé qu’Arkham Knight bien que celui-ci date de 2015. Difficile dans ce cas de comprendre et d’accepter l’absence de 60fps. S’articulant autour de la mort de Bruce Wayne et du fameux arc de La Cour des Hiboux, Gotham Knights tente, tant bien que mal, de nous narrer une version alternative de cette histoire en remplaçant Batman par nos quatre héros interchangeables qui vont devoir ramener l’ordre en ville tout en faisant la lumière sur une conspiration aux ramifications étendues. Afin de densifier sa narration, Gotham Knights intègre en parallèle trois autres arcs secondaires mettant en scène Harley Quinn, ClayFace et Mister Freeze. Libre à vous de naviguer entre chacune de ses intrigues au fil de votre progression d’autant que chacune d’entre elles s’avère réussie. Cependant, c’est dans sa construction que le jeu pèche énormément malgré une impression de contenu gargantuesque et un florilège de missions diverses et variées. Kidnapping, attaque de fourgons, piratage de données, vol d’ADN, Gotham Knights semble généreux même si passées quelques heures, on se rend compte que c’est beaucoup de poudre aux yeux.

Comme dans n’importe quel jeu de ce type (à commencer par Marvel’s Spider-Man, autre influence évidente du studio), on aura le choix d’avancer en ligne droite dans l’histoire ou de faire nombre d’à-côtés pour augmenter le niveau de ses héros. Retenez à ce sujet que si le niveau recommandé ne changera pas pour les quêtes principales et les trois scenarii additionnels, celui des objectifs annexes s’adaptera à votre niveau actuel. Construit autour du principe de nuits, chaque fois que vous quitterez le Beffroi (votre base d’opération où vous pourrez parler à Alfred, changer de héros, profiter de cinématiques liées à vos personnages…), vous aurez un certain nombre d’activités pour vous occuper. Se faisant, vous obtiendrez des «points d’investigation» qui vous permettront de débloquer d’autres activités la nuit suivante et ainsi de suite. L’idée est bonne car outre le fait de procurer un sentiment de travail accompli, elle permet aussi de segmenter votre temps de jeu et de ne pas subir un aspect bourratif commun à pas mal d’open world à commencer par ceux d’Ubisoft (aussi bons soient-ils).

Comme je le disais au-dessus, vous aurez dans Gotham Knights pas mal d’activités, sauf que 95% d’entre-elles s’articulent autour de combats contre l’une des factions du jeu. En somme, le type d’objectifs n’est finalement qu’une façade, ce qui amène logiquement un sentiment de redondance très important. Pour «varier» les plaisirs, on pourra terminer une rixe en essayant de remplir certains objectifs (faire x lancers, ne pas subir de dégâts…) mais sachant que ces derniers tournent eux aussi en boucle, on les laissera tomber dès lors qu’on aura atteint notre niveau max. Restera alors les courses en Batcycle, les séquences d’infiltration et les scènes de crime. Malheureusement, aucune d’entre elles ne s’avère suffisamment probante. Pire, elles se montrent bien moins bonnes que leurs homologues de la saga Arkham. Ainsi, les courses en Batcycle sont molles et sans challenge et l’infiltration se résume à sa plus simple expression en nous demandant de désactiver des caméras et d’éliminer des gardes dans des endroits au level-design paresseux. Quant aux scènes de crime, entre un aspect «jeu d’objets cachés» nous réclamant de balader notre curseur sur l’écran pour trouver des indices et la résolution consistant à lier deux indices entre eux, on est ici aussi très loin des scènes d’enquête de Gotham Knights. Cet aspect est encore plus présent dans les scènes de crime additionnelles qui tournent toutes autour du même objectif : trouver l’endroit d’où viennent les criminels. En somme, la victime, le modus operandi ou les indices deviennent ici totalement secondaires puisque seul l’élément contenant un lieu devient utile. Un bilan très mitigé donc plus ou moins atténué par la complémentarité des quatre héros.

Un pour tous, tous pour un !

En effet, si il y a quelque chose qu’on ne peut enlever à Gotham Knigts, c’est bien le fait qu’il soit très agréable de diriger chacun des quatre personnages possédant leur propre style et capacités associées. Bien que Red Hood se distingue par sa propension à utiliser ses flingues, il se montre aussi très efficace au cac à l’instar de ses trois compagnons. D’ailleurs, si les trois autres héros versent davantage dans le combat rapproché, leur style diffère quelque peu ne serait-ce que par l’arme qu’ils utilisent chacun : les bâtons d’eskrima pour Nightwing, le bâton de bo pour Robin et les tonfa pour Batgirl. On signalera aussi un moyen de déplacement propre à chaque héros (en plus du grappin, du Batcycle et des points de voyage rapide) afin d’explorer Gotham. Cependant, c’est surtout à travers leurs capacités d’élan que la différence se fera ressentir. Pour les débloquer, vous devrez au préalable remplir certains défis au fur et à mesure de l’aventure. Ensuite, une fois donné un certain nombre de coups à vos adversaires, vous serez capables de les utiliser, via une pression sur la touche R1 et un bouton d’action associé. Simple même si on pourra trouver abusé le cooldown abusivement long pour la capacité la plus puissante dont l’efficacité variera d’ailleurs grandement en fonction des héros.

Nonobstant la complémentarité des héros, difficile d’excuser les faiblesses du système de combat inspiré du Free flow et du système de Marvel’s Spider-Man mais n’arrivant jamais à leur hauteur. On regrettera ainsi l’impossibilité de locker, ceci nous valant souvent de frapper à côté ou une précision toute relative surtout lorsque notre héros se jette de lui même sur un ennemi alors qu’on est en train d’en finir avec un autre. Poursuivons avec une caméra trop proche rendant les rixes brouillonnes, surtout en intérieurs, ou un système bien trop basé sur les esquives à répétition à cause de l’absence de contres. Ceci fait d’ailleurs toute la différence avec le Free flow d’autant qu’il est impossible de passer par dessus un ennemi et qu’on subira continuellement les assauts répétés des ennemis ne se privant pas de nous tirer dessus à une cadence effrénée. On devra alors continuellement esquiver, frapper une ou deux fois, esquiver et ainsi de suite. Epuisant à la longue. Certes, en gagnant de l’expérience (heureusement commune aux quatre héros), on augmentera nos statistiques d’attaque, on débloquera des skills rendant le tout un peu plus fun mais malgré cela, Warner Bros Games Montréal aurait largement gagné à améliorer le système pour éviter certains affrontements trop longs ou même l’obligation de crafter des pièces d’équipement pour gagner en efficacité.

Loot them all

C’est ici qu’intervient la dimension «jeu service» de Gotham Knights, non pas dans sa structure mais bel et bien dans son gameplay nous forçant à enchaîner les missions pour gagner des matériaux indispensables pour obtenir armures, armes (au corps à corps et à distance) et mods. Si l’idée s’avère déjà très clivante dans le cadre d’un jeu soutenu par son scénario et son ambiance, elle est ici très intrusive en cela qu’on devra, pour chaque héros, recommencer encore et encore les mêmes missions pour obtenir des schémas plus puissants. On pourra également désassembler les équipements pour obtenir davantage de matériaux afin de crafter un équipement plus puissant dont le niveau augmentera en y associant des mods liés aux attaques critiques, aux dégâts ou à la défense élémentaires, à notre santé, etc. Si le système permet d’obtenir des équipements plus efficaces face aux différentes factions, et surtout aux boss ayant chacun des forces et faiblesses, on restera dubitatifs devant ce système qui n’avait pas nécessairement sa place dans un tel univers d’autant que la fusion de mods s’avère souvent aléatoire en nous donnant des résultats qui n’ont ni queue ni tête.

Concernant les boss justement, Gotham Knights s’en sort convenablement. Au risque de me répéter, le titre fait toutefois largement moins bien qu’Arkham City (autant dans la mise en scène que la façon de les battre), bien que certains d’entre-eux procurent de bonnes sensations et réclameront de votre part un minimum de dextérité. A ce sujet, on notera qu’une fois terminé le jeu, on pourra reprendre chaque combat de boss, avec trois ami.e.s. Bien plus coriaces (et avec un fort aspect «sac à PV»), ils vous réclameront toutefois un niveau de puissance global minimal avant de vous y frotter et des équipements de Niveau 60. Mentionnons également que si ce contenu gratuit est venu enrichir le New Game+, il est également arrivé avec Les Assauts héroïques (ici aussi pour 1 à 4 joueurs), soit 30 étages remplis d’ennemis qui vous rapporteront un loot de meilleure qualité permettant de crafter des équipements plus puissants et donc d’augmenter votre puissance. Un petit bonus non négligeable qui ne fera cependant pas oublier qu’à la base, l’aventure principale avait été pensée pour être jouée à quatre joueurs avant que cette feature ne soit ramenée à deux. Sur ce point d’ailleurs, il sera intéressant de jouer en duo pour récupérer plus rapidement les nombreux collectibles (enregistrements audio, couvertures de comics, pages de l’histoire de La Cour des Hiboux…), un objet découvert par l’un allant aussi dans l’inventaire de l’autre. Pratique d’autant que cette activité s’avère peu passionnante dans Gotham Knights malgré les informations qu’on obtiendra sur le lore.

Le titre ne manque donc pas de contenu, d’autant que chaque héros pourra revêtir une quinzaine de costumes plutôt classes, ni même d’idées mais se heurte malheureusement à de très nombreuses approximations rendant l’expérience trop classique voire agaçante par moments. Frustrant surtout qu’artistiquement, hormis un character design très carré, Gotham Knights offre parfois des ambiances très sombres ou au contraire des jeux de lumière mettant en valeur décors autant gothiques qu’urbains. La visite dans l’asile d’Arkham et les lieux où réside la Cour des Hiboux s’avère particulièrement réussie grâce à un soin tout particulier apporté aux décors. Ce n’est donc pas tant l’absence du Dark Knight qui fait défaut à Gotham Knights mais bel et bien le savoir-faire du studio britannique dont l’héritage est ici la plus grande force mais aussi la plus grande faiblesse tant Warner Bros Games Montreal n’aura pas su l’utiliser à bon escient pour proposer une suite aussi ambitieuse et réussie que la trilogie Arkham.

Sans être foncièrement mauvais, le titre de Warner Bros Montreal doit supporter la comparaison avec la série des Batman Arkham qu’il n’arrive jamais à dépasser quel que soit le sujet évoqué. Classique sans être pour autant inintéressant, le titre des Québécois se montre simplement moyen sur tous les aspects et ne parvient jamais à convaincre pleinement aussi bien dans son histoire (cousue de fil blanc), ses combats ou son exploration. Devant également composer avec un aspect «En travaux» synonyme de nombreuses maladresses et autres approximations, Gotham Knights se laisse parcourir mais est malheureusement voué à rester dans l’ombre de la série de Rocksteady.

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Triangle Strategy – L’art de la guerre

Bien que le RPG tactique n’ait jamais disparu, le souvenir de Final Fantasy Tactics résonne encore dans le coeur de celles et ceux qui ont eu la chance de croiser sa route. Malgré ses deux suites, subsistait un grand vide chez les amateurs du genre. Triangle Strategy était donc attendu de pied ferme, grâce à son scénario mature et l’envie de proposer un digne héritier au chef-d’œuvre de Squaresoft. Mais est ce que l’attente en valait finalement la chandelle ?

Tactics Ogre Reborn, The Diofield Chronicle, Marvel’s Midnight Suns, le RPG tactique aura vu quelques représentants de poids en 2022 et il devrait en être de même cette année avec Front Mission 1St, le sans cesse repoussé Advance Wars 1+2: Re-Boot Camp, Metal Slug Tactics et Fire Emblem Engage pour ne citer que les plus connus. Si Tactics Ogre Reborns aura permis à nombre de joueurs de découvrir le père du tactical RPG (sorti en 1995 sur Super Nintendo) à travers un remake de qualité, de nombreux joueurs désespéraient de retrouver l’ambiance si particulière de Final Fantasy Tactics sorti en 1997 sur PlayStation. En effet, si la saga avait eu droit par la suite à deux séquelles (sur GBA et Nintendo DS), ces dernières n’avaient pas réussi à proposer un scénario aussi complexe, torturé et sombre que celui de leur grand frère. Triangle Strategy était donc fortement attendu sur ce point puisque semblant reposer sur un aspect géopolitique et une imposante galerie de personnages à même de donner du corps et de l’épaisseur à l’intrigue. Opposant également un aspect graphique des plus chibi (via des personnages super-deformed) à la dureté de son histoire et de son message, Triangle Strategy entretenait également un autre point commun avec FFT. Une raison de plus pour l’attendre le cœur gonflé d’espoir…

C’est dans les vieux plots…

D’un point de vue scénaristique, Triangle Strategy tient le haut du pavé bien que tout ne soit pas parfait. Néanmoins, on ne pourra lui enlever l’envie de proposer une histoire riche, dense et composée de multiples rebondissements dont le joueur sera lui-même partie prenante. En effet, à intervalles réguliers, le jeu vous mettra face à des choix qui auront un impact direct (et donc crucial) sur le déroulé de l’histoire. Ainsi, en tant que leader de votre groupe, vous devrez faire en sorte que vos compagnons, ayant leurs propres convictions, se rangent de votre côté. Dans ce cas, vous aurez alors la possibilité de leur parler afin d’orienter leurs décisions en choisissant les bons arguments. Pas si simple, même si en allant vous balader dans votre village pour prendre le pouls de la situation en discutant avec les habitants, vous glanerez diverses informations qui amèneront de nouvelles options de dialogues avec vos camarades. Cet aspect sera donc primordial pour avoir l’une des fins du jeu et surtout poursuivre une partie en accord avec vos principes.

De ces décisions, découlera une histoire plus ou moins tragique ainsi qu’une conclusion associée. Et vue l’ampleur du scénario rempli de trahisons, prises de positions radicales et autres conflits raciaux, Dieu seul sait que Triangle Strategy vous tiendra en haleine, surtout si les tunnels de dialogues, quelque peu ampoulés, ne vous font pas peur. Sans être un véritable écueil, reconnaissons tout de même que les développeurs auraient sans doute gagnés à être plus inspirés en offrant à leur jeu un meilleur équilibre entre phases narratives et affrontements. Pour autant, il est indéniable que l’histoire de Triangle Strategy reste l’un de ses points forts en mettant en avant un gigantesque conflit géopolitique s’articulant autour des denrées maîtresses du continent de Norzélia : le sel et le fer. Débutant par une guerre ouverte entre Glenbrook, représenté par le prince Roland, secondé de son ami de toujours Serenor (héros de l’aventure), et Aesfrost, le scénario ne tardera pas à y injecter un troisième intervenant, autrement dit le royaume d’Hyzante, dont la religion, fondée autour du culte d’une déesse et de son mystérieux oracle trônant au sommet du groupe des Sept Saints, alimentera la guerre à venir.

Epique, tragique et pleine de surprises, l’histoire tient véritablement en haleine même si on lui reprochera certains passages enfonçant des portes ouvertes ou plusieurs personnages esquissés, aspect plus ou moins logique compte de l’aspect choral du jeu. D’un autre côté, on saluera l’idée de donner à l’ensemble des personnages jouables un passé, qu’on découvrira à travers des séquences optionnelles, afin de leur offrir un brin de backstory et donc de les rendre plus attachants. On savourera alors l’avancée du scénario ne perdant jamais une occasion de pointer du doigt les différences entre les classes sociales, le totalitarisme, les dangers de la religion ou bien encore les souffrances des peuples en temps de guerre.

Qu’on fait les meilleures features

Pour supporter un scénario aussi ambitieux, il fallait un gameplay des plus solides. Artdink l’a bien compris et sur ce point, leur jeu n’a nullement à rougir face à ses illustres aînés. Tout en reprenant les bases communes du RPG tactique (gestion de l’équipement, capacités complémentaires des combattants, pourcentages de réussite en fonction de l’endroit où se trouvent nos personnages…), Triangle Strategy amène quelques petites nouveautés dynamisant les affrontements.

Citons par exemple les Atouts permettant de faire revivre un personnage tombé au combat, d’immobiliser un ennemi ou bien encore de garantir un coup critique. Néanmoins, avant de pouvoir les utiliser, vous devrez les acheter dans votre camp, accessible entre chaque mission. C’est d’ailleurs ici que vous aurez l’occasion de faire le plein d’items, d’équipements ou même d’obtenir argent, points de compétences et expérience via différentes simulations de combat dont le niveau augmentera en fonction de l’avancée de l’intrigue. C’est également au camp que vous aurez la possibilité de débloquer des skills pour vos personnages. A ce sujet, si il est impossible de faire changer de « job » à vos héros, ceux-ci pourront acquérir de plus en plus de techniques en évoluant au sein de leur propre classe. Il sera aussi possible d’obtenir des améliorations passives avec, par moments, des choix à faire lors de certains paliers afin d’orienter légèrement l’orientation de vos guerriers.

Bien que Triangle Strategy ne soit pas le RPG tactique le plus difficile au monde (il n’intègre pas, à l’inverse d’un Fire Emblem, de permadeath), il conviendra cependant de prendre le temps nécessaire pour bien préparer votre équipe pouvant compter jusqu’à huit membres. C’est seulement comme ceci que vous viendrez à bout des combats les plus ardus. Cependant, vous aurez la possibilité lors de certaines batailles d’interagir avec le décor pour vous simplifier la tâche. Si certaines manipulations s’avéreront sans danger (utiliser des chariots dans une mine pour bouger plus rapidement et, avec de la chance, blesser un adversaire présent sur un rail), d’autres en revanche pourront impacter sur la meilleure fin du jeu. Ainsi, si vous décidez d’utiliser des pièges dissimulés dans un village lors d’une des premières batailles afin de brûler des groupes d’ennemis, le fait de réduire en cendres les maisons de votre peuple ne sera pas sans conséquence. Une excellente idée renforçant à nouveau la notion de choix.

Le reste consistera, comme dans tout bon jeu de ce type, à essayer d’anticiper la réaction de vos ennemis, en prévoyant vos actions pour les éliminer le plus rapidement possible. Pour se faire, il conviendra d’utiliser la timeline visualisant vos tours et ceux ennemis et agir en conséquence afin, par exemple, de bloquer la prochaine attaque adverse. Rien de bien neuf sous le soleil mais toujours aussi efficace. De même, en usant des capacités de vos combattants, ou de la position de ces derniers, vous pourrez prendre vos ennemis en tenailles, les charmer, les empoisonner ou bien encore faire tomber de la pluie sur le terrain puis lancer un sort de foudre afin de toucher plusieurs soldats. De multiples possibilités accentuées par le nombre conséquent de personnages une fois encore. Notons toutefois que malgré quelques soucis de visibilité liées aux forces présentes sur la zone de combat et autres indications visuelles (zone de déplacement, pourcentages de hit, etc), le fait de pouvoir zoomer/dézoomer, incliner la caméra et la tourner à 360° minimisera ce ressenti.

Bis repetita

Le jeu ayant beaucoup à offrir, on ne se fera pas prier pour en profiter un peu plus à travers le New Game +. Loin d’être anecdotique, celui-ci vous permettra même d’avoir plusieurs points de vue sur l’histoire puisqu’on dénombre pas moins de quatre fins. Pour voir chacune d’entre-elles, il vous faudra bien sûr remplir des conditions spécifiques ou faire des choix à certains moments clé de l’histoire. Outre la possibilité de monter vos personnages au maximum et de récupérer les skills qu’il vous manque, vous aurez la possibilité de voir l’ensemble des chemins proposés mais aussi et surtout de rencontrer jusqu’à neuf nouveaux combattants. Une carotte extrêmement tentante d’autant que le jeu profite d’un character design réussi et que la complémentarité des personnages permet des approches vraiment différentes en combat. D’ailleurs, il est intéressant de noter que si quelques personnages semblent, de prime abord, peu utiles (Hossabara, Picoletta, Lionel…), leurs derniers skills pourront parfois être salutaires à l’image de Medina pouvant offrir un TP (indispensable pour utiliser sorts ou techniques) à n’importe quel personnage qu’elle soigne. Bref, outre la possibilité de gonfler les rangs de votre équipe, ce surplus de personnages aura le mérite d’allier l’excitation de la découverte à la praticité d’une équipe encore plus équilibrée.

Outre ses nouveaux personnages, le New Game + vous proposera également de découvrir de nouveaux lieux, aussi envoûtants que chargés de détails. Très riche visuellement (autant dans ses ambiances, effets spéciaux ou pluralité de personnages, principaux comme secondaires), Triangle Strategy vous montrera un nouveau visage au fil de vos parties qui s’avéreront aussi exaltantes (d’autant qu’on aura tôt fait d’accélérer les dialogues déjà entendus pour aller à l’essentiel) que difficiles puisque le niveau des ennemis sera basé sur celui de vos guerriers. Au final, l’envie de redécouvrir cet univers primera et c’est avec grand plaisir qu’on enchaînera les affrontements en modifiant notre stratégie tout en optant pour de nouveaux choix modifiant notre orientation (moralité, utilité ou liberté) influant elle-même sur la fin du jeu. Une sorte de cercle vertueux synonyme de plus d’une centaine d’heures de jeu mais comme on dit : quand on aime…

Trop bavard et devant supporter quelques soucis de lisibilité ou de gestion d’équipement, Triangle Strategy n’en reste pas moins un RPG tactique de haute volée qu’il serait dommage de laisser passer si vous aimez le genre. Profitant d’un scénario complexe et d’un aspect choral lui offrant autant de figures tutélaires pour le bien-être de l’histoire que de personnages jouables amenant un aspect stratégique des plus délectables, le titre d’Artdink s’avère aussi passionnant à suivre qu’à jouer. Un titre non exempt de défauts mais véritablement fascinant dans son envie d’immerger le joueur, de le placer face à des choix cornéliens tout en imbriquant histoire et gameplay dans un grand tout synonyme d’un des New Game + les plus intéressants jamais vus.

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The Callisto Protocol – La peur de l’échec

Lorsque Glen Schofield signe en 2008 le premier Dead Space, il s’inspire ouvertement de Resident Evil 4 avec pour ambition de proposer un jeu plus dynamique et tout aussi viscéral (sans mauvais jeu de mots) que son modèle. Le résultat est là, Dead Space est un chef-d’oeuvre et accessoirement l’un des meilleurs survival-horror ayant jamais existé. Lorsqu’il s’attelle à nouveau à la tâche 14 ans plus tard, ses influences sont fort logiquement issues de ses premiers travaux. Il est donc tout à fait naturel que quasiment tout dans The Callistol Protocol renvoie à Dead Space. Il est en revanche moins logique que plusieurs des idées ne fonctionnent pas et ne génèrent que de la frustration.

Entendons-nous bien, Callisto Protocol n’est pas un mauvais jeu. Il parvient même à surprendre, en bien, et se montre parfois très efficace dans ses ambiances. Le problème vient du fait que le jeu aurait, pu, aurait dû être bien meilleur avec un vétéran comme Schofield à la barre. En partant de ce postulat, on a donc du mal à comprendre, et accepter, les très nombreuses errances émaillant la progression, ou certains choix structurels qu’ils soient assumés ou non par l’équipe de développement. Beaucoup de choses ne vont pas dans The Callisto Protocol, trop d’éléments semblent avoir été laissés à l’abandon pour on ne sait quelle raison et plus que tout, trop de passages sont synonymes de frustration prenant petit à petit le pas sur l’élément principal de tout survival-horror : la peur. Mais reprenons depuis le début…

De Rancid Moon à The Callisto Protocol

A l’image de Shinji Mikami qui s’était fortement inspiré de son blockbuster Resident Evil 4 pour les besoins de son Evil Within, Glen Schofield reprend peu ou prou absolument tout ce qu’il a réalisé dans Dead Space. Ambiance poisseuse, gore à outrance, séquences marquantes, HUD, tout y est à commencer par son histoire reprenant des éléments du premier scénario de Dead Space à l’époque où son nom de code était encore Rancid Moon. On ne sera donc pas étonné d’y croiser la route d’un «cowboy» solitaire, Jacob Lee, dont le vaisseau va s’écraser sur Callisto suite à un abordage par le groupe terroriste Outer Way mené par Dani Nakamura. Arrêté et jeté dans les geôles de la prison Black Iron, Jacob se réveille en plein cauchemar alors que le bâtiment semble être envahi par des prisonniers et gardiens infectés par un étrange virus. Ne tardant pas à rencontrer le prisonnier Elias Porter, il va devoir trouver un moyen de s’enfuir de Black Iron tout en essayant de limiter la propagation de l’épidémie.

S’articulant autour d’éléments classiques de l’horreur dont le héros, seul, face à un univers chaotique peuplé de créatures mortelles, représente le pilier central, le jeu de Striking Distance Studios se complaît dans un scénario de série B qu’on découvrira au fur et à mesure de la progression et la découverte de plusieurs audio logs nous renseignant sur les événements passés. L’histoire reste malheureusement tellement secondaire qu’on finira par quasiment l’oublier, le tout étant cousu de fil blanc pour celles et ceux qui auraient croisé la route d’un Resident Evil ces dernières années. De fait, si on évite le trop plein de jump scares faciles (ici remplacés par la capacité des créatures à surgir à tout moment par les conduits d’aération), il est dommage que les rares personnages qu’on rencontre n’aient pas bénéficié d’un travail plus affiné afin de ne pas donner l’impression de simplement exister à travers une poignée de cinématiques émaillant l’aventure. Le constat était assez similaire dans Dead Space qui se rattrapait quelque peu à travers le passé d’Isaac et de sa femme Nicole. De son côté, The Callisto Protocol n’ayant finalement pas de véritable matière narrative à offrir, l’envie d’avancer sera davantage mue par la découverte de son univers que par celle de son scénario.

Si le titre se satisfait donc d’une trame narrative somme toute légère, on lui reprochera également de nous faire le coup de la véritable fin en DLC. Très maladroit de la part du studio car si on ne doute pas que l’idée soit de faire du jeu une franchise en devenir, terminer le premier volet sur un cliffhanger assez important en nous balançant sous le nez le season pass pour avoir le fin mot de l’histoire n’était pas la chose la plus intelligente à faire.

La mort vous va si bien

En parlant de maladresses, il convient d’aborder la question du gameplay, lui aussi basé sur celui de Dead Space mais au ressenti bien différent à cause de divers soucis. Pourtant, dans l’absolu, tout semble avoir été pensé pour que le joueur se sente en confiance, du moins d’un point de vue de la maniabilité. La vue TPS (type caméra à l’épaule popularisée par RE4) répond présente, on peut acquérir divers moyens de défense, les améliorer via des forges et si à l’image de Dead Space, il est même permis de piétiner les ennemis au sol pour répandre leurs viscères afin de récolter items ou argent, on peut également affronter nos adversaires au corps à corps à l’aide d’une matraque, ceci offrant au jeu un dynamisme que n’avait pas le jeu de Visceral Games. Malheureusement, on se rend compte dès les premières rixes que plusieurs choses clochent.

Déjà, le jeu est parfois très difficile, dès le mode Normal, avec plusieurs passages souffrants du syndrome « Die & Retry ». Difficile de dire si cet aspect était voulu à la base par Schofield ou si il s’agit simplement de potentiomètres mal réglés. Dans tous les cas, il en résulte de l’exaspération cassant très souvent le sentiment d’oppression indispensable à tout survival-horror construit autour de son ambiance. Cette difficulté résulte cependant de deux éléments distincts : le cac, mentionné plus haut, et son game design.

Pour le premier élément, avec un bon entraînement et des réglages (optionnels), vous devriez pouvoir vous en tirer sans trop de heurts. En effet, à l’inverse de Dead Space, The Callisto Protocol s’axe autour du combat rapproché et ce même, si rapidement, vous aurez accès à plusieurs armes. Les premières heures vous demanderont néanmoins d’aller au contact et donc de maîtriser le système d’esquives. En somme, dès qu’une créature vous chargera, il vous faudra orienter le joystick gauche dans une direction ou dans l’autre pour éviter le coup puis dans la foulée, contre-attaquer via une attaque rapide ou lourde. Ca n’a l’air de rien mais il faudra trouver le bon timing au risque de se prendre un coup qui, dans le jeu, fait mal, très mal. Outre certains ratés qu’on a du mal à comprendre, il est indéniable que le système a été plutôt pensé pour des affrontements en 1V1 que face à plusieurs créatures, ce qui arrivera souvent.

On devra alors se satisfaire d’une caméra qui a bien du mal à suivre l’action, ceci nous valant souvent de mourir promptement et donc de devoir recommencer des séquences encore et encore. D’autant plus vrai que de nombreux checkpoints sont mal placés puisque très éloignés d’une forge et donc nous forçant à laisser des objets vendables par terre, ou à l’inverse, juste avant la forge et/ou un combat difficile, ceci nous obligeant ici aussi à recommencer toutes nos manipulations (upgrades / achat d’équipement) dans le cas d’un Game Over. D’une lourdeur sans nom, à l’image de l’absence de retournement rapide qui aurait pu nous aider lors de séquences de fuite ou de l’usage de gel de santé, quasiment impossible à utiliser en pleine action tant l’animation est longue, bien que celle-ci ait été raccourcie via un récent patch.

Etonnant que Glen Schofield ait laissé passer autant d’approximations surtout qu’à l’inverse, plusieurs éléments fonctionnent bien. Ici aussi, rien de renversant ou qui n’ait été fait dans Dead Space mais pouvoir utiliser le Grip pour attraper les monstres puis les empaler sur des pics ou les lancer dans le vide fait son petit effet. Le feeling des armes est plutôt bon même si concernant ces dernières, on pourra pester contre le fait de récolter des munitions pour l’arme de poing, peu utile vers la fin, et ce même si on ne l’utilise plus du tout. Idiot surtout que la seule solution pour éviter ceci sera de ne pas crafter l’arme alors qu’elle a son importance en début de périple. Cet exemple fait une fois encore état de vrais problèmes de game design qui auraient pu être aisément réglés.

Bienvenue en enfer

Sur le plan visuel difficile d’être critique tant The Callisto Protocol maîtrise son sujet. Que ce soit à Black Iron, aux abords de la prison, perdu dans une tempête de neige ou en s’enfonçant dans les profondeurs de Callisto, l’exploration est un enchantement. Autant dans les textures, les effets volumétriques, la gestion de la lumière, le titre réalise un sans fautes et le bestiaire n’est pas en reste. Décharnées, de plus en plus difformes à mesure qu’on progresse, les créatures peuplant le complexe participent à l’ambiance d’autant qu’à l’image des Nécromorphes de Dead Space, les monstres de The Callisto Protocol ne perdront jamais une occasion d’utiliser conduits et autres trappes pour surgir afin de nous prendre à dépourvu. L’audio n’est pas en reste et hormis une synchro labiale ratée et quelques bugs nous balançant parfois de l’allemand ou lieu du français, les râles, cris, sons caverneux, étouffés ou au contraire allant crescendo, à l’image du pas lourd d’un boss nous chargeant de toute sa masse, mettent clairement en condition.

Si le début se situe à la croisée des chemins d’Escape From Butcher Bay et Dead space, The Callisto Protocol nous invite par la suite à une véritable descente aux enfers en maintenant un bon rythme grâce à une pluralité de lieux et quelques passages très réussis. Il est donc d’autant plus agaçant que les équipes de Schofield aient laissé passer autant de problèmes entachant par moments le plaisir de jeu et l’immersion globale. Le titre avait pour vocation à nous faire oublier Dead Space, il n’aura finalement réussi qu’à nous faire attendre encore davantage son remake. Un constat mitigé pour un jeu qui aurait dû s’imposer à travers son héritage mais aussi et surtout un souffle d’originalité.

Devant composer avec plusieurs erreurs de game design, proposant un système de cac mal pensé dès lors qu’on combat contre de multiples adversaires, proposant une difficulté déséquilibrée (dès le mode Normal) à cause de checkpoints mal placés, le jeu de Striking Distance Studios se saborde de lui-même au fil de sa progression. Certes, le titre est beau, très beau même, les ambiances fonctionnent parfaitement mais dès que The Callisto Protocol se montre satisfaisant sur un point, il prend un malin plaisir à y injecter des passages énervants au possible comme pour tendre le bâton. En résulte un jeu soufflant constamment le chaud et le froid, ne parvenant jamais vraiment à surprendre mais se montrant pourtant assez solide pour patienter jusqu’à Dead Space, modèle que The Callisto Protocol cite du début à la fin sans pour autant jamais parvenir à le dépasser. Frustrant, tout comme sa fin ouverte amenant son DLC conclusif avec la finesse d’un Monster Truck dans un magasin de voitures sans permis.

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God of War Ragnarök – La chute des dieux

Sommes-nous maîtres de notre destinée ? Pouvons-nous la modifier et réécrire l’histoire ? Atreus devra trouver des réponses à ces questions afin d’aller de l’avant pour suivre sa propre voie. Mais Kratos a-t-il seulement le pouvoir d’épauler son enfant pour le guider, enchaîné à son passé de tueur de dieux ? Toutes ces interrogations trouveront des réponses dans God of War Ragnarök, suite du blockbuster de Sony Santa Monica sorti en 2018.

Commençons par ce qui me semble évident. Il y a peu de chances que God of War Ragnarök vous surprenne, du moins dans sa structure, calquée sur celle de son illustre aîné. Pourtant, il convient ici de nuancer le propos. En effet, si dans ce qu’elle propose, cette suite singe à tous les niveaux le précédent volet (plan séquence intégral, énorme contenu annexe, système de combat, loot, craft…), elle en améliore chaque aspect afin de proposer une suite toute aussi magistrale mais surtout encore mieux écrite. Ce n’est donc pas tant dans sa structure que le jeu impressionnera mais bel et bien dans son scénario et le développement de l’ensemble de ses personnages ayant chacun le droit à leur histoire, parfois teintée d’humour, parfois épique, parfois déchirante.

Guerre et paix

Alors que l’opus de 2018 parlait de deuil, celui-ci évoque la destinée, celle d’Atreus bien entendu mais aussi celle de son père et des protagonistes gravitant autour de lui à commencer par Freya, magnifique personnage gagnant énormément en profondeur dans Ragnarök. Malgré son passif avec Kratos, la déesse deviendra malgré tout une alliée de poids dans la quête du spartiate visant cette fois à déclencher le Ragnarök et ainsi évincer le Père de tout, Odin. La tâche sera ardue mais au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire, les alliances se créeront, les trahisons également, ceci amenant plusieurs retournements de situation ou des passages intimistes d’une profondeur émotionnelle qu’on attendait pas nécessairement de la part de la licence et ce malgré l’orientation prise par l’opus de 2018.

Là où Ragnarök fait la différence, est qu’il ne délaisse jamais en chemin l’un de ses personnages. Ainsi, si on a bien le droit dans la dernière ligne droite à quelques passages forcés (et peu utiles), la finesse d’écriture offre aux protagonistes déjà rencontrés (à commencer par Brok et Sindri) un développement inattendu et bienvenu. On notera d’ailleurs que quel que soit le personnage dont on parle, chacun se voit affublé d’un binôme afin d’approfondir son passé mais aussi son futur à travers des choix, le plus souvent cornéliens. Kratos/Atreus, Freya/Freyr, Brok/Sindri, chaque duo participe à l’équilibre narratif.

De plus, si il eut été facile de ne présenter les Asgardiens que comme les ennemis à abattre, les scénaristes leur ont insufflé des personnalités très marquées tout en créant des dissidences au sein même du camp d’Odin. Dès lors, chaque rencontre avec le cynique Heimdall (toujours prompte à railler nos héros) ou Odin, prônant officiellement la paix entre les royaumes, s’avère délectable à mesure que les pièces se déplacent sur l’échiquier de la bataille à venir. Thor (dont la présence avait été teasée à la fin du précédent jeu) se montrera également beaucoup plus intéressant que ce que peut présager son apparence de dieu bedonnant et soûlard. Tiraillé entre son devoir vis-à-vis d’Odin, désireux de prodiguer les bons conseils à sa fille Thrud (future valkyrie) et répondant toujours présent lorsqu’il s’agit d’aller au combat, le dieu Asgardien dévoile une histoire et une personnalité bien plus complexe qu’on pouvait l’espérer.

Tout ceci concourt à faire du scénario de Ragnarök un subtile mélange entre l’épique et quelque chose de plus posé en n’oubliant jamais la nature adolescente d’Atreus qui connaîtra ici ses premiers émois amoureux ou bien encore le passé de Kratos à travers sa défunte fille Calliope ou les liens l’unissant à sa femme qui fera de lui le père qu’il est aujourd’hui.

Voyage au bout de la nuit

Avec une telle matière narrative, la réalisation se devait d’être à la hauteur. Reprenant le concept du plan séquence, Ragnarök profite de l’expérience acquise en 2018 pour améliorer sa mise en scène, toute aussi impressionnante et parfois chargée de poésie, notamment lors d’une course-poursuite semblant issue d’une film des studios Ghibli. Plus fluides et inventives, les transitions invisibles se montrent également plus maîtrisées, lorsqu’il s’agit notamment de passer lors de flash-back d’un environnement à l’autre.

Profitant du talent d’artistes n’ayant plus rien à prouver, cette suite compense son impression de «déjà vu», nous faisant visiter certains des mêmes royaumes qu’en 2018, par de splendides trouvailles visuelles magnifiant anciens et nouveaux décors. Ainsi, si les biomes sont toujours aussi complémentaires et qu’il est agréable de revisiter à traîneau un Lac des Neufs entièrement gelé, Sony Santa Monica s’est à nouveau accaparé la mythologie nordique pour les besoins de son blockbuster. Modifiant quelques détails, réécrivant certaines légendes pour les besoins de son scénario, le studio s’est également fortement éloigné de la vision de Marvel toujours prompte à verser dans l’ostentatoire lorsqu’il s’agit de représenter les domaines des dieux. On appréciera d’ailleurs les sages paroles d’Heimdall en arrivant la première fois devant la demeure d’Odin, modeste en apparence, lorsque celui-ci nous rappelle que le vrai pouvoir n’a pas besoin d’être étalé à la vue de tous.

A l’opposé de cette modestie architecturale, le jeu est constellé de plans somptueux, de magnifiques panoramas ou de visions directement issus de la fantasy dans sa représentation la plus imaginative à l’image des loups Skôll et Hati zébrant le ciel pour chasser le jour au profit de la nuit. Notons qu’ici, l’idée n’a pas seule vocation à nous éblouir la rétine puisqu’elle est directement intégrée dans le gameplay du jeu afin de visiter plusieurs lieux à deux moments différents de la journée.

A ce sujet, si Ragnarök réutilise également une partie du bestiaire de son aîné, plusieurs nouvelles créatures viennent gonfler les rangs ennemis afin de proposer une aventure au challenge relevé que je vous conseillerai de parcourir en Normal pour un plaisir de jeu optimal. Sans tout vous révéler, cette suite vous mettra toujours aux prises avec plusieurs variantes de guerriers au service d’Odin (les Einherjar), les indéfectibles trolls et diverses créatures mythiques. Concernant la présence des boss (peu nombreux dans le précédent opus), Ragnarök se montre plus complet, bien que ceux profitant d’une mise en scène se comptent sur les doigts d’une main. Néanmoins, l’aventure est à nouveau émaillée d’innombrables combats (optionnels ou non) valant autant pour la résistance des adversaires que par l’analyse de leurs patterns afin de pleinement exploiter le gameplay de cet épisode afin de s’en sortir sans trop de heurts.

La rage de vaincre

Comme je le disais plus haut, Ragnarök propose un challenge relevé poussant rapidement le joueur à explorer afin de débloquer matériaux et autres objets pour augmenter le niveau de ses armes ou ses jauges de santé et de Rage. Si l’exploration n’est pas un problème en soit d’autant qu’elle ouvre la voie à de nouveaux environnements et adversaires, la gestion de notre inventaire, et plus globalement de notre équipement, est malheureusement toujours aussi perfectible. Un écueil de 2018 qui n’a pas vraiment été amélioré quatre ans plus tard. L’inventaire, justement, s’avère très brouillon et il est parfois difficile de s’y retrouver, d’autant que chaque pièce d’équipement dispose de plusieurs caractéristiques et d’une description rendant le tout encore plus fouillis. En plus de la gestion de notre armure et de nos armes, il conviendra également de choisir jusqu’à neuf amulettes (conférant divers atouts) ainsi que nos compétences, ces dernières pouvant offrir des bonus élémentaires une fois atteint un certain degré d’utilisation. Bref, le tout aurait mérité d’être plus clair d’autant qu’une fois encore, il est impossible de savoir où aller trouver certains matériaux indispensables pour crafter et/ou améliorer la puissance de certains équipements.

Ragnarök proposant cette fois d’incarner Atreus, il vous faudra par ailleurs gérer l’équipement de l’adolescent, ceci se résumant ici aussi à son arc, ses invocations runiques et ses compétences. Le feeling, manette en mains, étant particulièrement bon, on appréciera grandement ce switch tout au long de l’aventure d’autant que le garçon sera accompagné de divers compagnons, de Sindri à Brok en passant par Thrud pendant que Kratos profitera par moments de l’aide salvatrice de Freya. Excusez du peu ! Toujours aussi nerveux, les combats de cet opus se succèdent sans jamais lasser. Alternant affrontements contre des hordes d’Heléens, Midgardiens et autres monstres, l’aventure se montre rythmée au possible d’autant qu’en plus des armes du précédent volet, on en obtiendra une nouvelle (la lance de Draupnir), permettant de fondre sur son adversaire, de lancer une pluie de lances explosives ou d’attaquer à bonne distance. Un régal.

Concernant le système de combat en lui-même, on retrouve les flèches de couleurs changeant en fonction de la position de l’ennemi (rouge/proche, jaune/mi distance…) qui, couplées aux indications de votre compagnon, pallient très bien l’absence de plan large lors des affrontements. On notera les limites du système dans des endroits plus cloisonnés mais entre les esquives et les parades, on parvient rapidement à se sortir de toutes les situations. Notons que pour accentuer le dynamisme des joutes, outre les finish moves ou la possibilité de lancer des blocs de pierre, les développeurs ont ajouté un nouveau type de parade symbolisé par un halo bleu autour des ennemis synonyme d’attaque dévastatrice. Il faudra alors rapidement appuyer deux fois sur L1 pour que Kratos se précipite sur son ennemi afin d’interrompre l’attaque et ainsi prendre l’ascendant pour enchaîner juste derrière. En somme, sans révolutionner le système de combat, Ragnarök a parfaitement su l’affiner via quelques ajustements et de multiples possibilités inédites.

Il y a encore tant à faire

Si j’évoquais plus avant l’exploration, il convient de revenir sur ce point particulièrement important, qu’il s’intègre au grès de l’aventure principale ou en tant que contenu post game. Tout comme l’épisode de 2018, Ragnarök offre énormément de quêtes et autres tâches annexes. Alors que la plupart d’entre elles vous permettront d’obtenir argent, matériaux et équipements, c’est surtout la joie de découvrir de nouvelles zones, vastes pour la plupart, qui prévaudra, d’autant qu’on y rencontrera de nouveaux adversaires dont certains particulièrement coriaces. Vous aviez tremblé devant les Valkyries ? Préparez-vous à faire de même devant les terrifiants Berserkers ! Vous pensiez que les dragons étaient de l’histoire ancienne ? Vous feriez bien de revoir votre jugement. En marge de ces défis de taille, vous aurez également l’occasion d’aider Ratatoskr (espiègle écureuil gardant Yggdrasil et aux émotions matérialisées sous forme de petits rongeurs spectraux) ainsi que les autres protagonistes que vous croiserez. Des invitations qui ne se refusent pas. Si on voulait pinailler, citons tout de même quelques défis, s’axant autour des flèches sigillaires pour allumer des flambeaux (grâce à un effet de réaction en chaîne), pas toujours très heureux à cause de problèmes de visibilité.

En route vers Le Valhalla

En décembre 2023, à la surprise générale, Sony Santa Monica fait un bien beau cadeau à la communauté en annonçant lors des Game Awards l’arrivée dans les jours à venir d’un contenu gratuit du nom de Valhalla, qui se déroule après les événements de Ragnarök. Sorte de dénouement bâti sur les bases du Rogue-Lite, Valhalla n’aurait pu être qu’un agréable jeu d’action demandant aux joueurs d’enchaîner les parties en augmentant leurs statistiques, en débloquant de nouveaux sets d’armes et d’armures au fur et à mesure de la progression et ce, jusqu’à battre Tyr, le «boss final» de ce contenu. Pourtant, derrière la façade du Die and Retry (ici parfaitement intégrée au récit à l’image d’Hades), se cache un trésor bien plus précieux renvoyant de nombreuses années en arrière, plus précisément en 2005.

Si Valhalla se montre très complet dans le contenu qu’il propose en évitant d’être rébarbatif grâce à la quantité d’équipements à récupérer, dont l’épée de l’Olympe (God of War II) toujours aussi puissante, il renouvelle également son bestiaire et profite d’une narration particulièrement émouvante et profonde. Tournant autour des tourments de Kratos à l’époque où il officiait en temps que spartiate dans la Grèce antique, le DLC choisit de revenir sur son passé à travers de multiples souvenirs. Passant principalement par des dialogues (avec Mimir et Hélios), ce contenu troque ses effets de mise en scène par la sincérité de ce qu’il raconte, par l’émotion que dégage chaque souvenir, autant lorsque Kratos se remémore le meurtre gratuit de ce capitaine de bateau (God of War) ou le moment où il a dû abandonner sa fille Calliope (God of War : Chains Of Olympus) pour la seconde fois.

Étonnamment généreux (la durée de vie avoisine les 8-9h pour tout voir), proposant des combats renvoyant avec délice aux premiers épisodes de la saga, l’aventure oscille entre visions du passé, panoramas empreints de nostalgie et affrontements contre Minotaures, Sirènes, Centaures, Cyclopes et autres Harpies. Lettre d’amour à la saga, à son héros et à la communauté, Valhalla est un très bel épilogue, inattendu dans la direction empruntée mais plus que jamais sincère dans ce que la série construit depuis 2018.

Généreux jusqu’au boutisme, God of War Ragnarök est bien plus qu’une simple suite se reposant uniquement sur ses acquis. Alternant la fureur d’un combat à la pudeur d’un échange entre un père et son fils, évoquant un douloureux passé tout en regardant vers l’avenir, profitant d’un héritage tout en cherchant à exister par lui même, le jeu de Sony Santa Monica réussit aussi bien sur le tableau de l’action que de l’émotion. Une prouesse qu’il convient de saluer puisqu’en deux jeux, le studio californien aura parfaitement su faire évoluer sa licence en même temps que ses héros. Un véritable tour de passe passe, des instants magiques et au bout du chemin, une magnifique histoire de famille, de dieux et de destinées croisées.

Celles et ceux qui ne voudraient voir en God of War Ragnarök qu’une simple suite 1.5 passeront sans doute à côté de ce qui fait la force de cet épisode reprenant, il est vrai, la construction et les mécaniques de jeu de l’opus initial mais cimentant comme jamais la relation entre Kratos et Atreus entourés de personnages magnifiquement écrits, à commencer par Freya. Plus épique que jamais, plus généreux également, Ragnarök pose parfois un genou à terre quand il aborde sa gestion d’inventaire mais se redresse aussitôt lorsqu’il s’agit d’aller au combat. Violent, impressionnant une arme à la main, le jeu sait également se montrer émouvant grâce à la sincérité et la finesse de ses dialogues offrant à ses personnages des purs moments de complicité. Une nouvelle leçon de jeu vidéo.

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A Plague Tale : Requiem – Hugo s’en va-t-en guerre

Avec son histoire intimiste, ses personnages attachants et sa période de l’histoire peu usitée dans le jeu vidéo, A Plague Tale : Innocence avait réussi à marquer les esprits en 2019. Trois ans plus tard, le studio français Asobo retourne dans la France moyenâgeuse afin de conclure la destinée tragique d’Amicia et de son jeune frère Hugo.

Bigger and better, tel semble avoir été le leitmotiv d’Asobo durant le développement de Requiem qui s’avère riche, très riche, trop riche sans doute. Si Innocence se complaisait dans une construction longitudinale afin de mieux maîtriser son récit, son rythme et son gameplay sans cesse enrichi au fil de l’aventure, Requiem s’ouvre un peu plus, dans tous le sens du terme, en intégrant de vastes parties de cache-cache avec des nuées de soldats. On peut ainsi se demander si les développeurs ne se sont pas perdus en chemin en affichant des ambitions trop grandes qui ont quelque peu desservi leur propre titre profitant néanmoins de personnages toujours aussi attachants.

Hugo délire

Justement, au-delà de son gameplay, ce sont une fois encore les protagonistes de A Plague Tale, avec leurs forces et surtout leurs faiblesses, qui constituent le noyau dur de l’aventure. Après avoir fui l’Inquisition dans le précédent volet, Amicia et son jeune frère Hugo ne cherchent qu’à profiter un tant soit peu de l’accalmie qui leur est offert en acceptant bon grès mal gré le pouvoir d’Hugo ou plutôt sa malédiction lui permettant de contrôler des hordes de rats mais altérant petit à petit sa santé. Après que le magister Vaudin ait annoncé à Amicia que la Macula ronge son frère de l’intérieur, celle-ci entreprend alors un nouveau voyage pour sauver son frère en suivant les rêves prémonitoires de ce dernier.

Si Innocence s’articulait autour d’une fuite en avant, nous passons ici à un périple mû par la nécessité de sauver un proche et donc de braver les dangers et la distance, aussi grande soit-elle. De ce postulat de départ, naît une aventure plus ouverte, plus ambitieuse, plus exotique aussi bien que débutant sous le soleil de Provence. Sublimée par les artistes d’Asobo, la région de France, qui n’a jamais été aussi belle, se pare de ses plus beaux atours synonymes de calanques escarpées, champs balayés par les vents et villages animés. Sur ce point, difficile d’émettre la moindre critique tant la découverte du titre est un plaisir de chaque instant. Mais alors que le début du jeu se montre plus clément avec ses deux personnages principaux, une nouvelle menace de tardera pas à les rattraper, d’autant que le pouvoir d’Hugo va se montrer plus destructeur que jamais. Alors qu’Innocence nous présentait un garçon découvrant ses capacités, Requiem embrasse cet élément fantastique en faisant de l’enfant le centre de bien des convoitises.

Le contraste entre l’émerveillement constant d’Hugo et le poids pesant sur ses épaules confère à cette suite un charme particulier qui doit également beaucoup à la relation entre le gamin et sa sœur mais aussi au sympathique trio qu’ils forment avec le débrouillard Lucas ou bien encore les nouveaux compagnons de voyage qu’Amicia trouvera sur sa route. Une très bonne idée accentuant encore un peu plus l’aspect aventureux de ce volet et lui offrant un surplus d’énergie d’autant que la personnalité exaltée d’Arnaud complète parfaitement celle plus mesurée de Sophia, capitaine d’un navire qui permettra à tout ce petit groupe de voguer vers de nouveaux horizons. Si Innocence se résumait à La Guyenne et ses environs, le deuxième acte de Requiem nous emporte dans un endroit bien plus lumineux mais comprenant tout autant de dangers. Si je me garderai bien de trop vous en révéler, il est intéressant de noter que cette partie pourra surprendre, autant dans ses zones plus ouvertes mais aussi ses influences cinématographiques évidentes ne débouchant (malheureusement) pas toujours sur une noirceur qui aurait parfaitement siée à cet épisode. Sans remettre en question toute l’histoire, il y avait sans doute mieux à faire dans la seconde moitié du jeu, plus occupé à étirer ses séquences d’infiltration qu’à peaufiner la destinée d’Amicia et Hugo au point de louper le coche lors de certains passages pourtant censés être importants émotionnellement. En somme, si on retiendra tout de même un climax, surprenant et émouvant à plus d’un titre, l’histoire de A Plague Tale : Requiem aurait sans doute méritée une qualité d’écriture aussi affinée pour l’ensemble de ses personnages afin d’être plus prégnante à des moments clés.

Grandeur et décadence

Comme je le disais en préambule, les développeurs ont vu très grand, en multipliant tout par deux. L’aventure plus étriquée du premier volet cède ici sa place à un périple se nourrissant de décors variés, grandioses et d’un gameplay affiné bien que reprenant les bases de celui du premier opus. Certes, le sentiment de déjà-vu est omniprésent mais l’ensemble suffisamment maîtrisé pour que l’envie d’explorer ne faiblisse pas, du moins, jusqu’à un certain point. En voulant proposer une suite on ne peut plus généreuse, Asobo est allé piocher ses influences du côté de chez Naughty Dog, aussi bien pour ce qui est de sa construction que certains gimmicks de gameplay. Si la volonté de bien faire se ressent à chaque minute de jeu, il est aussi évident que les Français n’ont pas eu le même budget ni même le temps pour affiner la construction afin de toujours trouver le point d’équilibre entre narration et gameplay.

Cet état de faits se voit particulièrement bien en prenant de la hauteur sur l’ensemble du jeu, avec une introduction profitant de l’effet de découverte, un deuxième acte synonyme de ventre mou et une dernière ligne droite bien plus dynamique et inspirée, d’ailleurs beaucoup plus proche de ce que proposait Innocence. C’est sans doute là le principal problème de Requiem qui ne parvient pas toujours, à l’inverse de son aîné, à retenir pleinement l’attention durant ses phases de gameplay, la faute à des séquences d’action trop classiques et des passages d’infiltration ne parvenant que rarement à se réinventer. Dommage d’autant que Requiem dispose d’un gameplay amélioré qui permet cette fois de crafter davantage de types de munitions afin qu’Amicia éteigne des feux, attire des rats à un endroit précis, enflamme des ennemis, crée de petites explosions, etc. Si Hugo n’est pas en reste (puisque pouvant littéralement prendre le contrôle de gigantesques masses de rongeurs), on note une construction étrange faisant état d’une évolution de gameplay ne parvenant pas à suivre l’étirement de l’aventure réclamant cette fois plus d’une vingtaine d’heures pour en voir le bout. Ainsi, si on passera notre temps dans des zones plus ouvertes truffées de soldats, de fourrés où s’y cacher et de rats n’attendant qu’une occasion de boulotter nos ennemis, on changera rarement la méthode pour les passer même si l’arrivée de Sophia et Arnaud dans l’équipe apportera un soupçon de renouveau. Si le tout fonctionnait parfaitement dans Innocence, l’intérêt s’étiole à mesure qu’on avance dans Requiem d’autant que ces longues séquences semblent parfois prendre le pas sur l’histoire.

D’ailleurs, à l’inverse d’un The Last of Us qui parvenait en partie (surtout dans Part I) à insuffler suffisamment d’aérations à son récit à travers des moments plus contemplatifs, Requiem enchaîne très souvent plusieurs phases d’infiltration simplement entrecoupées par de courts moments d’accalmie permettant à Amicia et Hugo de rejoindre le lieu suivant tout en masquant des temps de chargements.

Frustrant car à certains moments, Requiem se montre prompte à intégrer du sang neuf lors de séquences héritées d’Indiana Jones, d’une phase nous demandant d’éviter les attaques d’un aigle, de courses-poursuites haletantes ou de diverses énigmes qui sont malheureusement écourtées par la propension de Lucas à nous aider avant même qu’on ait commencé à chercher la solution. Ici aussi, on aurait apprécié, à la manière de ce que proposent les jeux de Naughty Dog, d’avoir un indice optionnel ou de continuer à chercher la solution du puzzle. De plus, à intervalles réguliers, on devra subir des séquences en zones fermées accueillant des vagues d’ennemis, longues et inintéressantes au possible. On pourra également pester contre cette maniabilité pas toujours optimale puisque nous demandant constamment de passer en pleine action, via une roue des armes, d’un type de munitions à l’autre (sachant qu’elles sont complémentaires) ou d’alterner entre notre arbalète, lance pierre ou bien encore des pots pour étendre la zone d’effet desdites munitions. Si on finit par prendre le coup, il n’en reste pas moins que la jouabilité aurait gagnée à être plus fluide.

Requiem for a Dream

Malgré ses défauts, la suite d’Innocence parvient la plupart du temps à subjuguer, d’abord dans ses panoramas, bien plus éclectiques que par le passé, somptueux pour la plupart et bénéficiant d’ambiances travaillées alternant entre les magnifiques vues de Provence, des citées dévastées par des hordes de rats, les rêves oniriques d’Hugo ou bien encore des références à Alien ou Midsommar. Les artistes d’Asobo se sont fait plaisir d’autant que le tout reste cohérent malgré la pluralité des influences. Ensuite, dans les superbes compositions d’Olivier Derivière, toujours justes dans leur utilisation et accentuant à merveille les moments de calme comme de stress. Artistiquement, Requiem ne souffre donc que de peu de défauts, si ce n’est quelques animations trop rigides qu’on incombera à un manque de budget et/ou de temps de développement.

Si il est très agréable de retrouver Hugo et Amicia qui forment toujours un duo aussi attendrissant, c’est donc bel et bien dans son envie de proposer à tout prix une aventure plus longue que Requiem se casse un peu les dents, en ne trouvant que rarement le point d’équilibre entre son histoire et ses phases de jeu, hormis dans ces quatre derniers chapitres, épiques et émotionnellement plus intenses. Il n’en reste pas moins qu’Asobo peut être fier du travail accompli qui parvient très souvent à côtoyer la qualité de ses modèles tout en clôturant une histoire qui résonnera longtemps dans nos mémoires.

Pensée comme une suite directe du précédent volet, Requiem affiche pourtant des ambitions bien plus grandes à travers la pluralité de ses lieux, le nombre de personnages rencontrés ou bien encore sa durée de vie. Ne parvenant pas toujours à trouver le juste équilibre entre narration et gameplay, perclus de petits défauts, le jeu se perd souvent dans sa folie des grandeurs avant de revenir à ses personnages à travers une histoire intimiste et épique à la fois devant autant à l’implication de ses artistes, ses programmeurs ou bien encore son compositeur, Olivier Derivière, signant ici une bande originale d’une justesse irréprochable.

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Resident Evil Village : Shadows of Rose – La peur fanée

Faisant directement suite à Resident Evil Village, Shadows of Rose remet le couvert en nous replongeant dans une aventure horrifique ayant un «petit» air de déjà-vu. C’est d’ailleurs le principal (et énorme) défaut de ce DLC aussi prompte à recycler l’ensemble des décors du jeu de base qu’à boucler son aventure en un temps record.

Evoquant dans ses (très) grandes lignes le pitch de The Cell, Shadows of Rose convie Rose, la fille d’Ethan Winters, à plonger dans la «conscience» d’un Megamycète afin d’y trouver un moyen de se débarrasser de ses pouvoirs. Se faisant, elle va rencontrer des visages familiers, et un paquet de créatures inhospitalières, qui constitueront autant de problèmes à affronter ou à contourner. Bien que la première cinématique nous fasse espérer une histoire un peu plus profonde, voire psychologique (avec tous les guillemets du monde), la désillusion intervient très rapidement, ne serait-ce qu’à cause d’un scénario très cliché dès lors qu’il doit aborder les relations entre Ethan et sa fille.

Plutôt que d’écrire une conclusion satisfaisante à l’histoire d’Ethan, Capcom semble avoir opté pour la solution de facilité en piochant dans les bases de la série afin de proposer une progression aussi classique que moyennement stimulante, l’architecture étant peu ou prou la même que celle du jeu original, de façon condensée certes mais nous faisant passer par le château de Lady Dimitrescu, la maison de poupée ou bien encore le village. Si l’effet de surprise n’est donc plus là, nos objectifs accentuent ce ressenti puisque synonymes de quelques énigmes typiques de la saga nous demandant au préalable de récupérer masques et autres clés pour y accéder. Afin de saupoudrer le tout d’une once d’originalité, Rose pourra toutefois user de ses pouvoirs qui, de façon graduelle, lui permettront de détruire des sortes de nœuds organiques afin de débloquer le passage ou obtenir différents items. Sur ce point, il est dommage que l’évolution des capacités de l’adolescente (lui permettant de bloquer des ennemis puis d’attaquer dans le dernier acte) n’ait pas été davantage au centre de l’expérience afin de proposer un gameplay diffèrent qui nous aurait évité de rechercher et/ou crafter des munitions ou des fleurs de sauge (pour remplir notre jauge de pouvoirs) tout au long des 4 heures nécessaires pour boucler la première run.

En somme, les développeurs ont préféré rester dans leur zone de confort sans jamais vraiment en sortir, exception faite lors du passage de la maison de poupées, encore plus ingénieux, macabre et réussi que dans le jeu de base, en se permettant même l’une des meilleures idées jamais vues dans un survival-horror afin de susciter l’effroi. Frustrant donc que l’ensemble du DLC ne soit pas au niveau de cette excellente séquence et que le tout reparte après coup sur un tracé plat en privilégiant l’action contre des hordes de créatures et l’obligatoire affrontement contre le boogey-man de service, mixe entre le «chainsaw man» de Resident Evil 4 et l’Urias de Resident Evil Village. Tout n’est donc pas à jeter dans Shadows of Rose mais on était en droit d’en attendre un peu plus de cette extension proposant par ailleurs une vue à la troisième personne et deux nouvelles maps pour le mode Mercenaires.

Aussi dispensable soit-il, ce contenu pourrait être une sorte d’esquisse pour les futurs épisodes canoniques qui mixeraient encore plus action et fantastique en offrant à notre personnage des capacités surhumaines. Un mélange intéressant mais aussi dangereux tant Resident Evil a toujours fait le jeu des personnages humains (toute proportion gardée) confrontés à des abominations de plus en plus démesurées afin de générer un sentiment de panique. Il faudra donc attendre le prochain volet pour savoir si Rose viendra officiellement grossir les rangs de l’équipe de Chris Redfield ou si ce coup d’essai n’était destiné qu’à alimenter (et légitimer) l’Edition Gold de Resident Evil Village.

DLC anecdotique, Shadows of Rose déçoit autant dans les lieux traversés, provenant quasiment tous du jeu de base, que dans son évolution timide de gameplay ou même son scénario des plus faméliques. Dommage d’autant qu’au détour d’une séquence fabuleuse, le jeu exploite pleinement le concept de l’horreur anxiogène en enchaînant des idées toutes plus brillantes les unes que les autres. Malheureusement, ce court instant ne fait que mettre en exergue le reste du contenu prompte à recycler les mêmes schémas encore et encore et ce jusqu’à sa dernière ligne droite aussi généreuse en action qu’avare en effroi à l’image du contenu Not A Hero de Resident Evil VII.

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Le Cabinet Des Curiosités de Guillermo del Toro S01 : Des monstres plein le placard

Alors que le retour de The Twilight Zone orchestré par Jordan Peele s’était montré plutôt décevant et pendant que les deux saisons d’American Horror Stories sombraient dans des abysses de médiocrité, Guillermo del Toro annonçait de son côté sa propre anthologie horrifique à destination de Netflix. Une aubaine pour les amateurs de frissons quand on connaît la passion de l’homme pour le genre et toutes les créatures qui s’y tapissent. Si on retrouve dans cette Saison 01 plusieurs des univers de prédilection du maître (à commencer par Lovecraft), que valent les huit épisodes de ce Cabinet des Curiosités ?

Retrouver Guillermo del Toro à travers une anthologie n’est pas vraiment surprenant quand on connait son intérêt pour le genre et les avantages qu’offre ce format permettant de raconter des histoires distinctes en profitant d’univers différents. Bien que cette première saison respire la passion du maître pour Lovecraft (deux épisodes adaptent directement une nouvelle et plusieurs autres s’en inspirent grandement dans leurs ambiances et/ou thématiques), del Toro s’est entouré de réalisateurs(trices) de renom afin de légitimer son projet. Le résultat, si il n’est pas exempt de défauts, n’en reste pas moins très intéressant à suivre. Le revers de la médaille est que cette pluralité de cinéastes engendre forcément des disparités entre les épisodes qui sont loin d’être au même niveau. Ainsi, les trois premiers épisodes s’avèrent être les plus faibles. Lot 36 semble plutôt passer à côté de son sujet en expédiant sa fin tout en occultant certaines idées de son scénario alors que Rats du Cimetière se perd un peu entre ses influences en ne sachant jamais vraiment sur quel pied danser.

Si L’Autopsie manque également de bases suffisamment solides et peine à convaincre malgré une chouette référence et un final on ne peut plus gore, c’est surtout La Prison des Apparences qui subjugue grâce à sa réalisation et son actrice principale parvenant à sublimer un thème somme toute classique (la recherche de la beauté à tout prix afin de briller en société) pour en faire quelque chose de dérangeant et de marquant. Suivent les deux histoires les plus lovecraftiennes du lot qui représentent aussi parfaitement les qualités et défauts de cette S01. Alors que Le Modèle soigne aussi bien son esthétique que son acting ou bien encore son histoire en proposant une fin des plus glaçantes, le suivant (Cauchemars de Passage) se montre peu inventif dans sa construction et nous laisse sur notre faim malgré une belle créature et la présence de Rupert « Ron Weasley» Grint. Toutefois, l’anthologie se reprend en main dans sa dernière ligne droite avec deux excellents épisodes, l’un se reposant quasi entièrement sur la prestation de ses acteurs (L‘Exposition) alors que le deuxième (Murmuration) parvient à conjuguer habilement histoire de fantômes et histoire d’amour. Le résultat navigue constamment entre frissons et émotion et offre à cette saison 01 une bien belle conclusion. Vivement la suite !

  • Episode 01 : Le Lot 36
  • Durée : 45 minutes

Nick, un vétéran de guerre, rachète le contenu d’un container (le fameux Lot 36) afin de trouver la perle rare pour la revendre au plus offrant. Comme vous vous en doutez, ce qu’il va dénicher va aller au-delà de ses espérances, et cauchemars les plus fous. Le premier épisode de l’anthologie n’arrive pas à pleinement convaincre, la faute à diverses idées intéressantes (la danse du précédent occupant avant de rentrer dans son box ne résultant sur rien de concret et demeurant inexpliquée) jamais exploitées, certains personnages laissés à l’abandon (Emilia) ou une fin bien trop expédiée pour véritablement marquer. La créature elle-même (pourtant imaginée par del Toro) s’avère plutôt classique pour un monstre « lovecraftien » et ne parvient pas à rehausser le niveau de ce premier segment réalisé par Guillermo Navarro (la série Hannibal, Narcos).

  • Episode 02 : Rats de Cimetière
  • Durée : 37 minutes

Masson, gardien de cimetière, prend son travail très à cœur, au point de déterrer les cadavres les plus richement « décorés » afin de leur voler leurs objets de valeur. Il va très vite découvrir que des rats (dont il a une sainte horreur) procèdent de même en emportant les cadavres dans les profondeurs souterraines. Ne sachant jamais vraiment sur quel pied danser (horrifique, comique, histoire Lovecraftienne, monster movie), Rats de Cimetière a bien du mal à condenser son propos en l’espace de 40 minutes. Si certains passages sont réussis (le cauchemar de Masson), le dernier acte saute trop rapidement d’une ambiance à l’autre pour offrir à cet épisode une vraie personnalité, engoncée entre des références qu’elle digère moyennement, et auxquelles elle n’arrive jamais vraiment à la hauteur, ou un aspect anxiogène, accentué par la phobie de Masson mais atténuée par l’approche grand-guignolesque de la créature.

  • Episode 03 : L’autopsie
  • Durée : 57 minutes

Une nouvelle occasion loupée pour cet épisode se situant pourtant à la croisée (très intéressante) des chemin de films comme Hidden et l’Autopsie de Jane Doe. A l’image du précédent épisode, celui-ci semble constamment se chercher en optant pour une sorte d’entre-eux entre enquête, « thriller » et invasion extraterrestre. Malheureusement, le scénario peine à approfondir son histoire en ne mettant jamais vraiment en avant de véritables thématiques ou même la maladie du docteur Carl Winters incarné par F. Murray Abraham (Le Nom de la Rose, Last Action Hero, Mimic) pourtant à l’aise dans le rôle de ce légiste attendant que la mort l’emporte. La fin s’enferme alors d’elle-même dans une sorte de salmigondis gore, parfaitement orchestré mais déversant sa substance narrative en même temps que les intestins de ses personnages.

  • Episode 04 : La Prison des Apparences
  • Durée : 63 minutes

Sans doute l’un des épisodes les plus forts et marquants devant autant à sa réalisation jouant le jeu de focales déformées pour accentuer ce sentiment de malaise et surtout son actrice principale, sorte de canard boiteux désirant se transformer en cygne pour briller au sein de son groupe de collègues aussi superficielles qu’addict à une crème censée les rendre plus belles. A mesure que les minutes passent, la réalité de Stacey s’effondre et rien ne semble plus avoir d’importance si ce n’est ce produit miracle censé la rendre plus belle et par la même occasion plus populaire. Pouvant être vu comme un brulot envers le diktat de la « beauté à tout prix », voire du télé-achat, cet épisode évolue en même temps que son héroïne en transformant l’espoir d’un remède miracle en folie bien réelle de laquelle ne peut résulter rien de bon.

  • Episode 05 : Le Modèle
  • Durée : 62 minutes

Embrassant entièrement son thème lovecraftien, Le Modèle doit autant à sa période gothique, synonyme de décors et costumes réussis, qu’à son duo d’acteurs vedettes à commencer par l’excentrique et toujours excellent Crispin Glover (même dans un nanar comme Charlie et ses drôles de dames). S’axant autour de peintures macabres provoquant la folie chez ceux les ayant admiré, l’épisode parvient à maintenir une sorte de malaise constant tant dans la relation qu’entretient l’étudiant William Thurber (le très convaincant Ben Barnes) et l’artiste Richard Pickman (Glover) surtout lorsque le second va refaire irruption dans la vie du premier et mettre en péril la famille qu’il a fondé des années après avoir coupé les ponts avec son «mentor». Esthétique et prenant, Le Modèle doit autant à ses acteurs, son production design qu’à sa fin, glaçante à souhait.

  • Episode 06 : Cauchemars de passage
  • Durée : 61 minutes

Si il est toujours agréable de retrouver Rupert Grint (excellent dans la série Servant), Cauchemars de passage s’avèrent malheureusement beaucoup trop classique pour surprendre. Si il réalise un sans faute d’un point de vue visuel (aussi bien dans ses décors, costumes ou sa créature principale), cette adaptation de La Maison de la Sorcière de H.P. Lovecraft se montre quelque peu redondante dans ses effets horrifiques ou même la façon de raconter la relation entre Walter Gilman (Grint) et Epperley, sa défunte sœur jumelle qu’il va tenter de ramener du monde des morts. En résulte un épisode semblant évoluer en pilotage automatique et dont ne résulte pas l’émotion, ou même l’effroi, qu’on aurait pu en attendre.

  • Episode 07 : L’Exposition
  • Durée : 56 minutes

Un épisode à deux vitesses qui se repose durant son premier acte sur l’ensemble de ses comédiens, à commencer par Peter Weller jouant le rôle de Lionel, l’un de plus riches hommes de la planète qui invite quatre experts dans leurs domaines respectifs afin de l’aider à percer un mystère qui le taraude depuis des années. Jouant avec la curiosité (des spectateurs et des personnages) désirant ardemment savoir pourquoi les invités ont été conviés, L’Exposition fait monter la pression à travers sa réalisation très posée à laquelle la musique et le grain de l’image ajoutent une touche étrange héritée des eighties. La seconde partie de l’épisode nous confronte au pourquoi du comment (que je vous laisse découvrir par vous même) et ce à travers de réjouissants débordements gores ou une fin des plus nihilistes. Délectable.

  • Episode 08 : Murmuration
  • Durée : 63 minutes

Cette première saison de l’anthologie de del Toro se termine de la plus belle des façons via un épisode réalisé par la talentueuse Jennifer Kent (Mister Babadook, The Nightingale). Il met en scène deux ornithologues, Nancy et Edgar Bradley, parfaitement interprétés par Essie Davis (Mister Babadook) et Andrew Lincoln (The Walking Dead, Love Actually), qui s’isolent sur une île afin d’étudier les dindons de Virginie. La force de l’épisode réside dans la faculté de Kent à mélanger l’histoire personnelle de ses personnages, dont l’amour a dû faire face à une terrible perte, et celle des anciens habitants de la maison dans laquelle ils résident. A l’image de ce qu’elle avait déjà fait dans Mister Babadook, la réalisatrice australienne réussit aussi bien sur le tableau de l’émotion, grâce à ses deux acteurs, que sur celui de l’horreur à travers des cadrages maîtrisés et une utilisation parfaite des zones d’ombre pour susciter l’effroi.

Bien que certains segments déçoivent à cause d’un manque d’homogénéité ou d’un scénario trop faible, cette première saison du Cabinet des Curiosités s’en sort avec les honneurs et se montre surtout bien au dessus des deux saisons de la catastrophique anthologie American Horror Stories. Si on notera quelques épisodes maladroits, on pourra tout de même louer les efforts concernant la réalisation, les décors et les effets de maquillage. On retiendra surtout quatre fabuleux épisodes qui nous font espérer une Saison 02 aussi riche et variée avec, pourquoi pas, le maître de cérémonie lui-même derrière la caméra.