Lucrative bien que conspuée par les fans, la première série de films Resident Evil avait au moins le mérite, au plutôt l’audace, de s’affranchir assez rapidement de la série de jeux vidéo bien qu’y piochant régulièrement des passages cultes pour faire du gringue à la fanbase. Il était donc logique que ce reboot prenne le contre-pied de ce qui avait été fait avant en se présentant dès le départ comme le digne héritier cinématographique de la licence de Capcom. Intention louable malgré un cafouillage assez dérangeant.
Alors qu’on aurait pu imaginer ce reboot de Resident Evil prendre son temps, c’est tout le contraire qui a lieu. Passée, une introduction nous présentant les jeunes Chris et Claire Redfield dans l’orphelinat de Raccoon City, le film opère un rapide bond en avant pour se dérouler de nos jours. Outre le fait que l’origin story des Redfield ait été modifiée, ladite introduction choisit de faire la lumière sur la jeune Lisa Trevor, qu’on pouvait apercevoir dans le remake du jeu original. Idée intéressante sauf qu’au final, elle ne servira pas vraiment la narration, si ce n’est dans le troisième acte, et ce, de façon assez convenue pour ne pas dire naïve.
Pour autant, Johannes Roberts (les réussis 47 Meters et The Strangers : Prey at Night) soigne ses plans et parvient même à créer une certaine ambiance horrifique qu’on ne pensait pas retrouver dans cette nouvelle adaptation. Le constat est d’ailleurs similaire durant la première demi-heure de métrage, entre l’arrivée de Claire à Raccoon et l’exposition de la bourgade américaine (retrouvant taille humaine après la transformation en mégalopole dans le remake de Resident Evil 2), plutôt habilement emballées et laissant espérer une atmosphère beaucoup plus anxiogène que celles des précédents films. Malheureusement, c’est à partir de ce moment-là que rien ne va plus.
En effet, plutôt que d’adapter le premier jeu en prenant son temps pour présenter la situation et les enjeux (aussi bis soient-ils), le réalisateur, et scénariste, choisit de mixer les deux premiers titres, sans doute pour étendre sa narration à Raccoon, au delà du manoir Spencer. On ne sera donc pas surpris de retrouver Leon S. Kennedy côtoyant les Redfield, Albert Wesker, Jill Valentine ou bien encore le chef Brian Irons. Bien que l’idée ait du sens pour proposer davantage d’action, elle s’avère ici catastrophique tant le film ne prend jamais son temps pour vraiment creuser ses personnages. De fait, chacun d’entre eux survole le film, la palme revenant à Wesker dont les motivations ne justifient jamais son retournement de veste.
Dans sa globalité, Bienvenue A Raccoon City est donc un gigantesque gloubi-boulga d’idées écrites à la va-vite et de références aux jeux ne donnant jamais l’impression de vouloir réellement raconter quelque chose de cohérent. Pire, le long-métrage démontre durant toute sa durée qu’aussi référentiel soit-il, il ne semble pas avoir compris la série de Capcom. Les Cerbères, les corbeaux, les Lickers, la transformation de William Birkin, l’apparition du tout premier zombie, rien ne manque vraiment, mais tout s’avère fade et convenu, comme posé là, pour faire plaisir aux fans.
Si sur le fond, cette adaptation a donc du mal à convaincre, la forme n’est pas nécessairement mieux, le tout oscillant entre le bon (la représentation du manoir Spencer) et le navrant (l’explosion du camion-citerne devant le commissariat de Raccoon City). Une fois encore, il est étonnant de constater les différences entre le premier acte, soignant ses éclairages et l’apparition de certains zombies, et les suivants enchaînant les maladresses de réalisation. Difficile en effet de pardonner à Roberts les séquences d’action à l’intérieur du manoir, aussi désastreuses que dangereuses pour les épileptiques. Peu aidé par ses comédien.nes, le real choisit alors d’enclencher la seconde en bardant son métrage de jump scares, d’explosions et de gunfights. Maladroit, car autant sur le tableau de l’horreur que de l’action, le film se prend méchamment les pieds dans le tapis, et ce, jusqu’à son final d’une navrance et d’un kitch à toute épreuve bien qu’ici aussi directement inspiré de celui de Resident Evil 2. Pour la peine, on en viendrait presque à regretter Paul W.S. Anderson et Milla Jovovich.
Conclusion
En essayant de faire rentrer au chausse-pied le scénario des deux premiers jeux dans un film d’1h45, Bienvenue A Raccoon City échoue sur à peu près tous les tableaux malgré une première demi-heure plutôt efficace. Malheureusement, en survolant complètement son scénario, Johannes Roberts semble avoir baissé les bras dès le deuxième acte. Réalisation brouillonne, manque total d’empathie pour les personnages, easter eggs intégrés à la truelle, l’ensemble s’écroule comme un château de cartes, et ce, jusqu’à sa scène post-générique aussi référentielle que mal amenée. On aurait aimé frémir, au final, le film nous fait simplement hurler de dépit.
En 2016, Sony Pictures Entertainment relançait la franchise Ghostbusters avec un épisode bancal, qui tentait tant bien que mal de rebooter la licence et de lui rendre hommage à travers des références intégrées au forceps et un humour bas de plafond. Cinq ans plus tard, les chasseurs de fantômes ressortent les packs de protons pour un opus cette fois aussi nostalgique que sincère…
Abandonnant les rues bondées de New-York, lieu de prédilection des précédents volets, Jason Reitman (Thank You for Smoking, Juno) choisit la petite ville américaine de Summerville pour planter son décor. Anachronisme bétonné, la bourgade semble s’être figée dans les années 80, auxquelles Reitman fait d’ailleurs constamment référence, par l’entremise du cinéma du coin, diffusant le Cannibal Girls du paternel, quantité de clins d’œil ou encore par l’architecture même du long-métrage qui évoque les grandes heures d’Amblin, la société de production de Steven Spielberg.
L’Héritage est donc un cri du cœur aux eighties, une lettre d’amour aux références cinématographiques du réalisateur quarantenaire, mais aussi, et surtout, une suite essayant de prendre le meilleur de son modèle tout en allant de l’avant. Respect et innovation, telle pourrait être la maxime de ce nouveau Ghostbusters.
La rupture de ton initiée, loin d’être anodine, permet dès le départ d’offrir à S.O.S. Fantômes : L’Héritage une dimension plus intimiste, qu’on retrouve également dans son synopsis. Callie (Carrie « Gone Girl » Coon), endettée jusqu’au cou, doit quitter son appartement et choisit de se mettre au vert avec ses deux enfants, Trevor (Finn « Stranger Things » Wolfhard) et Phoebe (l’excellente Mckenna Grace). Emménageant dans la demeure décrépie de son défunt père, Callie et sa petite famille ne vont pas tarder à découvrir que la charmante bourgade n’a rien à envier à la Big Apple en matière d’apparitions ectoplasmiques.
Une histoire de famille
S’articulant autour de la notion de parenté, L’Héritage troque le film de potes pour une histoire de famille, soudée dans l’adversité, et qui va devoir tout reprendre à zéro en s’acclimatant tant bien que mal à un nouvel environnement campagnard. Un point de départ original (pour la saga) même si on aurait pu s’attendre à ce que Jason Reitman approfondisse davantage les relations entre les protagonistes. À l’inverse, le réalisateur choisit d’éclater sa narration et de développer ses personnages en offrant à chaque membre de la famille un compagnon de route.
Sur ce point, on trouvera matière à redire, car si la jeune Phoebe, aussi à l’aise en sciences qu’en blagues vaseuses, forme avec Podcast (Logan Kim) un délicieux duo qui n’aurait nullement détoné dans les Goonies de Richard Donner, le reste de la famille n’a malheureusement pas autant de chance. Trevor, féru de mécanique un peu paumé, devra se contenter d’une amourette avec une jeune serveuse du drive-in où il travaille. Le personnage se trouve au final très effacé, à l’image de sa charmante et dynamique maman partagée entre le désir de reconstruire sa vie et celui de flirter avec Paul Rudd, parfait dans son rôle de professeur débonnaire à mi-temps, plus intéressé par ses études sismologiques que par ses cours, dont la finalité consiste à passer des VHS de Cujo et autres Chucky à ses élèves.
En cela la narration est quelque peu bancale, la plupart des personnages ne semblant destinés qu’à errer d’une scène à l’autre jusqu’à servir « la cause » de Phoebe. C’est elle, en effet, qui va entrer en contact avec l’Au-Delà pour éviter un chaos à venir.
Un hommage vibrant mais prévisible
Intimement lié au film de 1984, S.O.S. Fantômes : L’Héritage subit quelque peu le besoin de connecter son intrigue à celle du film d’Ivan Reitman. Cependant, bien que les Easter eggs et autres apparitions réelles ou fantomatiques (jusqu’à la scène post-générique) génèrent des sourires complices en ravivant d’agréables souvenirs (notamment au détour d’une séquence poétique des plus touchantes), la plupart servent aussi habilement l’intrigue. Revers de la médaille, ils ont également le défaut de rendre le scénario bien trop prévisible.
Nous nous garderons de trop vous en dévoiler, mais sachez que le film ne surprend jamais, ni dans son histoire, qui grille trop rapidement ses cartouches, ni dans les manifestations spectrales, finalement assez timorées et trop ancrées dans le passé de la saga. Certes, il est amusant de retrouver un Bouffe-tout grassouillet, mais il y avait sans doute matière à proposer une galerie de créatures plus réjouissantes, plus espiègles, tout en mettant à contribution Summerville pour de réjouissantes scènes de destruction à bord de l’Ecto-1. On retiendra néanmoins quelques excellentes idées, très « Gremlinsesques », malheureusement spoilées dans des extraits diffusés en amont de la sortie du film.
Reste que Jason Reitman emballe le tout avec une joie communicative, en usant d’élégants plans de caméra pour mettre en valeur les panoramas de l’Oklahoma (ou plutôt d’Alberta, au Canada, où a été tourné le film), embellis par la photo d’Eric Steelberg (un habitué du réalisateur). Le film profite aussi du respect infini que le réalisateur témoigne aux films de son papa, que l’on retrouve dans le jeu des acteurs et actrices, et on saluera le dernier arc, plus dynamique, qui doit beaucoup au mélange entre effets spéciaux dernier cri et animatroniques, pour un résultat à la fois moderne et joliment désuet.
911 raisons d’appeler qui vous savez…
Au-delà de sa prévisibilité, S.O.S. Fantômes : L’Héritage conjugue une touchante sincérité à un besoin d’aller de l’avant en passant le flambeau à une toute nouvelle génération de Chasseurs de fantômes. Mû par ses jeunes comédien·ne·s, parfaitement dans le ton, et propulsé par un revival de séries et films eighties, ce nouvel épisode réussit, malgré ses écueils, à trouver un certain équilibre : il saisit le meilleur de son illustre passé, aidé par le bonheur de retrouver une partie du casting de 1984, et referme les portes entrouvertes il y a 37 ans.
Mais c’est peut-être aussi ce qui donne l’impression que L’Héritage est bloqué dans une sorte d’entre-deux structurel, plus occupé à tisser des liens avec le Ghostbusters original qu’à développer ses propres personnages qui auraient sans doute mérité un peu plus d’épaisseur pour pleinement convaincre. Si d’un côté, on retombera donc avec un vrai plaisir dans la formule combinant humour, action et bons sentiments, on éprouvera de l’autre un sentiment étrange d’inachevé autant au niveau du spectacle proposé que de l’histoire racontée, sincère, drôle et émouvante, mais sans doute trop conventionnelle pour nous faire totalement retrouver notre âme d’adolescent.
Conclusion
Bien que très convenu et assez déséquilibré dans ses arcs narratifs, S.O.S. Fantômes : L’Héritage profite d’un véritable amour porté au film original (auquel il est intimement lié) dont il actualise la formule pour s’adresser aux nouvelles générations. Loin d’être parfait, il n’en reste pas moins une proposition vivifiante et sincère dans sa démarche, alliant un humour qui fait souvent mouche à une touchante et émouvante nostalgie.
Naughty Dog est depuis longtemps l’exemple à suivre au sein des studios Sony et de manière plus générale, dans l’industrie du jeu vidéo. Reconnus pour leur sens du détail presque maladif, les californiens se sont forgés une solide réputation que des histoires de crunch ont à peine entamé. Au fil des années et séries, l’ambition du studio a toujours été de repousser les limites techniques mais aussi et surtout celles des genres abordés. Le fond a autant d’importance que la forme chez Naughty Dog. Leurs productions sont, certes, taillées pour se vendre à des millions d’exemplaires mais la volonté de bousculer les habitudes des joueurs à travers l’inattendu, des personnages marquants ou des thématiques fortes est omniprésente. Associer blockbuster et jeu d’auteur peut sembler farfelu voire casse-gueule mais la formule a pourtant réussi à ce studio pas comme les autres.
De débuts très «roots» à la consécration mondiale
Comme pour beaucoup de petits génies de l’informatique et du jeu vidéo, l’aventure Naughty Dog commence dans le garage d’Andy Gavin et Jason Rubin, les deux fondateurs de Jam Software. La société ne prendra son nom définitif que lors du développement de leur troisième jeu, Keef the Thief, un RPG édité par Electronic Arts. Nous sommes en 1989 et les deux jeunes programmeurs n’ont pas chômé puisqu’en parallèle de leurs études, ils développent en 1987 leur premier titre, Ski Crazed, puis leur deuxième, Dream Zone, en 1988. La passion est décidément moteur de création !
Délaissant les micro-ordinateurs pour les consoles, Naughty Dog ne va pas tarder à se faire une renommée mondiale, non pas avec leurs deux jeux suivants, Rings of Power (un RPG en vue isométrique) et Way of the Warrior, jeu de baston sur 3DO dans la veine d’un Mortal Kombat, mais plutôt avec Crash Bandicoot, premier titre d’une longue série qui perdure encore aujourd’hui. La société développera les trois premiers titres de la série, plus un excellent spin-off, Crash Team Racing, avant de partir sur une autre franchise, Jak and Daxter, sous l’impulsion de Sony qui rachète la firme en 2001.
Tout comme avec Crash Bandicoot, Naughty Dog développera trois Jak and Daxter puis un spin off officiant lui aussi dans la catégorie des Mario Kart-like. Notons que cette saga profitera de l’expérience d’Amy Henning qui s’était déjà illustrée à travers la saga Legacy of Kain et son spin-off, Soul Reaver, célèbres pour leur lore vampirique et leurs personnages hauts en couleurs. C’est donc en toute logique qu’elle travaillera en 2007 sur le premier Uncharted qui marque un tournant dans l’histoire de la société.
Uncharted ou l’idée même du blockbuster vidéoludique
Alors que Jason Rubin quitte son poste en 2004, suivi un an plus tard par Andy Gavin, ce sont le français Christophe Ballestra et Evan Wells, leurs successeurs, qui s’occupent du lancement d’Uncharted Drake’s Fortune, héritier des grands films d’aventure et autres Tomb Raider. S’inspirant du mélange d’action/plates-formes de Jak and Daxter, Uncharted opte toutefois pour un ton plus réaliste en posant les bases d’une nouvelle franchise misant aussi bien sur son action survoltée que le charisme de son héros, Nathan Drake, fils illégitime d’Indiana Jones et Lara Croft. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Uncharted : Drake’s Fortune s’inspire autant de l’exotisme des premiers Tomb Raider que de Legend, reboot de la série qui proposait en 2006 des scènes d’action des plus hollywoodiennes. Le but de la nouvelle franchise de Naughty Dog est donc on ne peut plus simple : faire voyager le joueur en ne lui laissant aucune minute de répit grâce à une aventure au rythme frénétique.
Les gunfights se succèdent à la vitesse d’une balle, les péripéties se multiplient et Nath échappe toujours à la mort avec le sourire ou la punchline de rigueur. Le but n’est pas ici de le rendre crédible mais au contraire de l’iconiser à la manière d’un de ces héros de films d’action des années 80 à qui rien n’est impossible. Tel un Schwarzenegger, Drake dégomme, dessoude, il éparpille mais tout est fait pour le rendre sympathique via le duo qu’il forme avec Sully, roublard, baroudeur, pilote d’hydravion, le cigare au bec et jamais avare en bonnes histoires. Le duo est tellement central qu’on pourrait aisément qualifier ce Drake’s Fortune de buddy movie interactif saupoudré d’une touche de féminité en la personne d’Elena qui ne cessera de prendre de l’importance au fil des épisodes. L’écriture d’Amy Henning, (par ailleurs réalisatrice du jeu), de Josh Scherr et de Neil Druckmann (futur homme fort du studio), va droit au but et parvient à offrir à notre groupe d’aventuriers une bonne alchimie grâce à des personnalités marquées et complémentaires ainsi qu’un objectif à leur hauteur : la recherche de la mythique citée de l’Eldorado. Terreau à partir duquel germeront des relations plus poussées dans les opus suivants, le scénario de Drake’s Fortune définit les contours d’une saga pensée dès le départ pour accueillir de multiples suites. Car ne nous y trompons pas, tout dans ce jeu est calculé pour toucher une large cible grâce à un mélange d’humour, d’action et de légèreté en renvoyant aux Indiana Jones, A La Poursuite du Diamant Vert et consorts. Les bases étant à peine posées qu’il est donc déjà temps de penser à un deuxième volet voué à faire mieux que son prédécesseur et ce, à tous les niveaux.
Un premier trio de jeux entièrement dévolu au grand spectacle
En s’inspirant dès son ouverture d’une séquence du Monde Perdu : Jurassic Park, Uncharted 2 : Among Thieves annonce la couleur, il sera tout aussi spectaculaire que son aîné, auquel il emprunte sa structure, tout en densifiant son propos à travers plusieurs personnages inédits. Optant pour une narration non linéaire, notre trio de scénaristes s’amuse à laisser Nathan dans une situation des plus délicates, perdu en plein Himalaya après le déraillement d’un train, pour revenir quelques semaines auparavant aux abords d’une plage. On y découvre entre autres Chloé Frazer, l’ex de notre héros qui formera une sorte de triangle amoureux avec Elena et Nath avant de prendre du galon jusqu’à être la star du spin-off d’Uncharted 4, The Lost Legacy, en 2017. L’usage de flash-backs, qui sera également mis à profit dans les épisodes suivants, permet au jeu de multiplier rapidement les situations, les rebondissements, les lieux, avant de revenir à une progression longitudinale et donc au temps présent. Nous faisant voyager d’Istanbul à Bornéo en passant par le Népal, cet opus affiche comme son aïeul un esprit d’aventure où les vastes panoramas abritent de somptueuses cités et de magnifiques palais voués à être partiellement détruits et jonchés de cadavres. Le body count d’Uncharted 2 explose à l’image de la plupart des décors du jeu, théâtre d’une aventure aussi généreuse en action que référentielle dans ses situations.
Formant un véritable triptyque avec les deux premiers volets (dans le ton et les ambitions cinématographiques), Uncharted 3 : L’Illusion de Drake est rarement cité comme l’épisode préféré des fans en 2011. Pourtant, il transcende absolument tout ce qui a été fait jusqu’alors, autant dans le fond que dans la forme. La formule, très bien établie, permet une fois de plus de passer d’un continent à l’autre en l’espace de quelques séquences. Le Royaume-Uni, la Syrie, la France, le Yémen, Uncharted 3 ne lésine sur rien pour éblouir, nous sortir de notre quotidien. Il triple absolument tout afin que le joueur/spectacteur en ait pour son argent. Après Marco Polo dans Uncharted 2 et Francisco Vázquez de Coronado dans Golden Abyss (qui sortira également en 2011), Uncharted 3 évoque Thomas Edward Lawrence, autrement dit Lawrence d’Arabie. Si dans son inspiration première, renvoyant au film éponyme de 1962 réalisé par David Leane, cet épisode évoque l’aventure, le dépaysement, il ajoute davantage de Fantastique en intégrant notamment des djinns dans sa dernière ligne droite.
Bien que l’homogénéité du jeu en prenne un coup, autant dire que la promesse initiale est tenue ! De son introduction, dans un bar Londonien, que n’aurait pas renié Guy Ritchie, à une séquence virevoltante dans un avion en perdition en passant par une course-poursuite à cheval s’inspirant directement de celle des Aventuriers de l’Arche Perdue, L’Illusion de Drake allie l’épique au confidentiel lorsqu’il choisit de s’attarder sur le passé de Nathan encore adolescent. Ce passage est d’ailleurs symptomatique de l’envie des scénaristes d’approfondir les personnages pour mieux comprendre ce qui a forgé leurs caractères.
En se basant sur tous ces éléments auxquels on rajoutera une galerie de méchants toujours prompte à mettre des bâtons dans les roues et dont la Katherine Marlowe du troisième opus semble grandement influencée par la Jacqueline Natla du premier Tomb Raider, la saga Uncharted truste le box office vidéoludique.
Les chiffres de ventes sont excellents, le public est au rendez-vous mais chez Naughty Dog, le vent a tourné depuis la sortie de The Last of Us en 2011. Acclamé pour ses personnages, la finesse de son écriture et le ton plus réaliste de son aventure, The Last of Us démontre qu’on peut mélanger narration profonde et notion de blockbuster. Et si Uncharted 4 s’y essayait lui aussi ?…
Uncharted 4 : Bigger, better mais surtout plus humain
L’évolution entre ce premier trio de jeux et le quatrième dénote clairement d’une vraie maturité de la part du studio ne cherchant plus seulement à amuser mais aussi et surtout à s’investir beaucoup plus dans le vécu de ses personnages. On pourrait en cela positionner Neil Druckmann comme une sorte de Christopher Nolan qui a toujours cherché à aller plus loin que le genre auquel ses films sont associés. S’étant imposé à travers sa maîtrise de l’action, Naughty Dog a cette fois davantage de latitude pour expérimenter une autre façon de concevoir sa saga et ceci passe bien entendu par celui qu’elle a porté sur un piédestal pendant des années : Nathan Drake.
Tout en donnant de l’épaisseur à son héros, Uncharted 4 l’humanise, le rend plus fragile en l’ancrant davantage dans la réalité d’une vie plus rangée, aux côtés d’Elena avec qui il partage désormais sa vie. C’est tout le sujet de cet opus et comme à l’accoutumée, Naughty Dog amène ces réflexions avec beaucoup d’humour et d’auto-dérision. L’un des passages faisant office de véritable note d’intention de ce quatrième épisode, est sans doute la séquence sous-marine présentant Nathan à la recherche de quelque trésor millénaire. Classique en apparence, c’est seulement lorsque la caméra sort de l’eau qu’on se rend compte que notre baroudeur ne fait qu’effectuer un travail pour le compte d’une société récoltant des ordures dans une rivière. La scène, n’intervenant qu’après plusieurs heures de jeu, est pourtant la plus importante de A Thief’s End tant elle trace une ligne entre passé et présent pour bien nous faire comprendre à quel point rien ne sera plus jamais identique, du moins dans la tête de Nathan. Problème d’argent, difficulté à trouver du travail, l’aventurier se confronte cette fois au plus grand danger qui soit, celui-là même qu’il avait pris soin d’éviter jusqu’à présent : la vie active ! Il en vient même à se questionner sur la dangerosité des missions qu’on lui propose, parti-pris totalement inédit pour un jeu d’action.
Bien sûr, on pourra trouver tout ceci ironique dans le sens où les gunfights à 1 contre 100 pullulent à nouveau mais la réflexion n’en reste pas moins intéressante et totalement raccord avec le ton général du jeu et la prise de hauteur de cet épisode en forme de bilan, aspect qu’on retrouve en filigrane, de son très beau générique du titre, sous forme de crayonnés parcourant toute l’histoire de la saga, à sa conclusion. Tout comme les joueurs qui ont découvert la série, Nathan a vieilli et si il reste au fond de lui l’explorateur d’autrefois, il doit également pensé à ses proches, à sa famille. Le passage où le héros se retrouve dans son grenier rempli d’artefacts tirés des précédents épisodes illustre à merveille ce propos.
La scène, nostalgique et touchante à la fois, permet à Nathan (et donc au joueur) de replonger pendant un bref instant dans sa vie passée jusqu’à ce que la voix d’Elena, lui intimant de venir manger, retentisse comme un cinglant retour à la réalité. Une manière de nous rappeler ce que fut Nath et ce qu’il est devenu, à l’image du studio Naughty Dog, toujours désireux d’aller de l’avant sans pour autant renier son histoire. Afin d’appuyer ce parallèle, Nathan défie alors Elena sur Crash Bandicoot (premier titre ayant véritablement lancé le studio), en blaguant sur la lenteur avec laquelle le jeu se charge. Ce clin d’oeil, qu’on retrouvera de façon plus ou moins similaire dans le Metal Gear Solid 4 d’Hideo Kojima (lors du retour à Shadow Moses), sonne ici comme une belle réflexion autour du temps qui passe en mettant au même niveau avatar, développeur et joueur. Pour l’anecdote, quatre ans plus tard, pour les besoins promotionnels de Crash Bandicoot 4: It’s About Time, Activision (à qui appartient désormais la licence ) fera à son tour un clin d’oeil à Naughty Dog en faisant jouer Crash et Coco Bandicoot à Uncharted 4.
Là où les précédents épisodes se servaient principalement de leurs personnages pour amener leurs enjeux scénaristiques immédiats, Uncharted 4 : A Thief’s End prend du recul sur la série, son succès et, bien entendu, ses protagonistes. Ce qu’Uncharted 3 avait initié avec la séquence adolescente de Nath, Uncharted 4 le développe, l’approfondit et, technologie aidant, parvient à offrir beaucoup plus d’émotions à ses dialogues à travers des expressions faciales bluffantes de réalisme et le jeu de ses acteurs virtuels. Bien que débutant sur une impressionnante séquence d’action, le titre annonce rapidement la couleur en revenant plusieurs années en arrière, dans l’orphelinat de jeunes sœurs (celui-là même mentionné dans le troisième volet) où Nathan a trouvé «refuge». En l’espace d’une séquence, les réalisateurs Neil Druckmann et Bruce Straley donnent une dimension plus personnelle à ce nouveau volet, bien plus centré sur les relations unissant ses personnages que dans n’importe quel autre épisode. De fait, tout en présentant le personnage de Samuel Drake, central dans le jeu, ce passage réussit parfaitement à définir le lien entre les deux frères tout en renvoyant aux précédents épisodes. Notons par exemple que le tee-shirt que porte Sam est celui de Nathan dans le flash-back d’Uncharted 3. Un détail subtil complété par des dialogues brillamment écrits nous rappelant à quel point Sam reste un modèle pour Nath, en tant que grand frère bien sûr mais aussi via cette image de rebelle un peu casse-cou qui inspirera la future carrière du jeune garçon.
On sent donc que la volonté première derrière Uncharted 4, outre celle d’être l’un des meilleurs porte-étendards des capacités de la PS4, est d’apporter ce réalisme totalement absent des précédents volets. En accentuant l’idée de nostalgie, de mélancolie, Naughty Dog choisit clairement de casser cette sorte de «positive attitude» au centre de tous les autres volets. A l’inverse de The Last of Us dont l’univers se prêtait bien plus à cet exercice, Uncharted 4 s’imprègne pour la première fois de l’envie du studio de ne pas céder aux sirènes du blockbuster consistant à immerger le joueur/spectacteur dans un roller-coaster continu de sensations fortes. Exercice périlleux d’autant que comme nous le disions quelques lignes plus haut, les scènes d’action sont nombreuses. Pourtant, en crédibilisant son héros, en lui donnant des raisons beaucoup plus personnelles de se battre (outre sa propre excitation à l’idée de retourner «sur le terrain»), les gunfights, bien plus spectaculaires que par le passé, prennent une saveur particulière grâce à cette dramaturgie sous-jacente côtoyant le plaisir très régressif de mitrailler à tout-va dans des environnements d’une beauté renversante.
L’équilibre aurait pu être précaire mais c’était sans compter le talent du studio qui, sans faire fi des impératifs liés au genre, ne perd jamais de vue son histoire. Sorte d’hybride engoncé entre les attentes des joueurs et les ambitions artistiques de ses auteurs, A Thief’s End n’est pas qu’une simple suite. Tout en reprenant le meilleur de la saga, il donne de l’épaisseur et du cœur à son casting en sachant toujours où situer la réglette pour créer l’émotion, la surprise, l’enchantement. Ce n’est donc plus vraiment à travers ses prouesses athlétiques que Nathan se définit mais par le biais de cette humanité retrouvée, ses prises de conscience et son envie d’imaginer son futur non plus en solitaire mais avec ses proches. L’épilogue est d’ailleurs très significatif de cet état d’esprit et revient à l’une des morales de ce volet : savoir progresser sans pour autant renier qui on est. Sorte de passage de témoin d’une génération (de machines et de personnages) à l’autre, il nous présente Nathan, Elena et leur fille, Cassie, curieuse d’en apprendre un peu plus sur le passé pour le moins singulier de ses parents. Se clôturant sur une image de famille heureuse et sur la fin (présumée) de la carrière de Nathan Drake, impossible de ne pas imaginer une suite qui mettrait une toute dernière fois en vedette notre baroudeur de l’impossible assisté de la demoiselle ici âgée de 13 ans, soit à peine moins qu’une certaine Ellie…
The Last of Us : un véritable lieu d’Elliégature
Lorsque The Last of Us sort en 2013, le jeu fait l’effet d’un bombe. Alors qu’on pouvait imaginer une déclinaison «survival» d’Uncharted, le titre de Naughty Dog balaie d’un revers de la main cette éventualité en s’axant plus que jamais autour de ses deux personnages principaux, Joel et Ellie. Il est d’ailleurs bon de rappeler que ce n’est pas avec son gameplay mixant, sans grande originalité mais avec une vraie efficacité, infiltration et action, ni même son univers, renvoyant à celui du film Je Suis une Légende, que le jeu a acquis ses lettres de noblesse. Si le titre a autant marqué, c’est bel et bien grâce à son écriture, le développement de ses personnages, son couple d’acteurs vedette, Troy Baker et Ashley Johnson, ou bien encore les magnifiques compositions de Gustavao Santaolalla (21 Grammes, Le Secret de Brokeback Mountain) offrant au jeu une véritable identité musicale.
Chaque choix de Straley et Druckmann (également scénariste du jeu) est mûrement réfléchi. Chaque élément, chaque idée participent à la construction de l’histoire et au vécu des personnages qui va influer sur les décisions qu’ils seront amenés à prendre. Dès le départ, The Last of Us définit le personnage de Joel comme un homme prêt à tout pour protéger ceux qu’il aime. Avec son introduction menée tambour battant, les deux réalisateurs décrivent, dans un style proche d’un reportage de guerre, la fuite de Joel et de sa fille Sarah à travers une ville en proie aux flammes et à des attaques d’infectés. Passant d’une scène chaleureuse, afin de cimenter l’attachement du père pour sa fille, à une conclusion glaçante voyant la mort de Sarah, le jeu affiche rapidement ses ambitions : nous surprendre pour mieux nous retourner émotionnellement, en nous faisant comprendre à quel point tout peut arriver dans ce monde en friches, que personne n’est à l’abri.
En retrouvant le personnage 20 ans plus tard, alors que la pandémie a ravagé le monde entier, il est inutile de se perdre en explications superflues pour décrire l’état mental de Joel. Lorsqu’il accepte de conduire Ellie au groupe des Lucioles à l’autre bout des Etats-Unis, l’homme a perdu tout ce qui avait de l’importance pour lui et ne fait que survivre en acceptant des jobs à la morale douteuse. Ellie n’est rien pour lui et c’est via l’évolution de cette relation que The Last of Us va décrire le parcours mental de ses deux personnages. L’idée de Neil Druckman est ici de confronter ces deux êtres que tout oppose. Joel a connu la civilisation passée et ne voit plus rien de beau dans le monde actuel alors qu’Ellie le découvre et s’émerveille d’un rien. Elle demeure en cela très proche du joueur. Toute cette dualité, cette complémentarité, fait le charme de ce premier volet qui, à travers ce rapprochement, va progressivement amener Joel à redevenir l’homme qu’il était, même si cela doit impliquer des choix douloureux.
C’est d’ailleurs l’un des points intéressants de The Last of Us qui ne permet pas aux joueurs de prendre leurs propres décisions, à l’inverse d’autres titres proposant par là même de faire évoluer la morale du personnage. Le jeu de Naughty Dog est en quelque sorte l’antithèse des The Walking Dead de Telltale Games dont l’objectif était justement de nous laisser la possibilité de faire quantité de choix afin de changer, dans une certaine mesure, la fin des épisodes mais aussi et surtout de nous permettre d’être plus en accord avec les actions de Clémentine et donc de créer davantage d’empathie. Ici, le joueur n’a d’autre choix que d’accepter les réactions d’Ellie et de Joel. Lorsque ce dernier choisit de tuer des gens innocents dans l’hôpital pour sauver Ellie, on comprend son acte sans pour autant légitimer ses motivations égoïstes. Quand il ment à celle-ci car il sait que la jeune fille ne pourra accepter ce qu’il a fait, on éprouve un sentiment paradoxal de colère et de soulagement. The Last of Us est difficile à accepter dans ses prises de position mais nous fait comprendre que tout est une question de point de vue et que notre vécu nous définit et nous pousse à faire des choix qui peuvent nous sembler justes… Même lorsqu’il s’agit de sacrifier l’avenir de l’Humanité.
Ce n’est donc pas le joueur qui est maître du destin des personnages mais bel et bel et bien leurs créateurs. C’est en cela qu’on peut vraiment qualifier The Last of Us de blockbuster d’auteur. Tout en ne déviant nullement de sa narration initiale, le titre déploie en parallèle d’énormes moyens pour crédibiliser son univers. Sa production n’a rien à envier à celle des blockbusters cinématographiques auxquels il emprunte un compositeur, une direction d’acteurs et des montées d’adrénaline régulières synonyme de séquences d’action explosives ou de passages horrifiques chargés de tension. Prenant le meilleur du cinéma et du jeu vidéo, ce premier volet accentue qui plus est l’immersion et l’empathie à travers des idées intelligentes comme celle de nous faire incarner Sarah lors du prologue (et donc de multiplier l’impact émotionnel lors de sa mort) puis Ellie, en milieu de partie, soit les deux «filles» de Joel.
Usant au mieux de la narration environnementale pour affiner les sentiments des protagonistes, le jeu ne cesse de déployer des trésors d’ingéniosité pour dépeindre l’évolution de ses acteurs. Comme nous le disions quelques lignes plus haut, le choix de Troy Baker (comédien de doublage chevronné) et Ashley Johnson (ayant débuté en 1990 dans le Full Contact de JCVD) participe grandement à la réussite du titre. La performance physique et vocale des acteurs, aidée par des expressions faciales très réalistes, était essentielle pour provoquer l’émotion recherchée et sur ce point, c’est une totale réussite, aussi bien en VO qu’en VF grâce aux excellentes performances d’Adeline Chetail et Cyrille Monge.
On retrouvera d’ailleurs l’ensemble de ses qualités dans le DLC Left Behind, prélude à l’aventure originale se concentrant sur Ellie et Riley, meilleure amie et premier amour de la jeune fille. Reflet du jeu de base, Left Behind synthétise à merveille ses meilleurs aspects via une écriture soignée et quelques trouvailles des plus poétiques à l’image de la séquence du jeu d’arcade durant laquelle Riley décrit à une Ellie fermant les yeux et agrippée aux joysticks de la borne, une partie imaginaire.
Sans chercher à s’affranchir de son but premier, divertir, The Last of Us parvient à conjuguer l’action et le frisson à une vision d’auteur ne cédant jamais aux poncifs du genre. Bien que s’articulant autour d’une progression classique, le titre ne délaisse en aucun cas ses personnages à qui il offre une conclusion aussi poignante qu’ambiguë. S’inspirant à nouveau du cinéma, et plus particulièrement du film La Route de John Hillcoat, la fin sonne comme un véritable coup de massue lorsqu’Ellie demande à Joel ce qui s’est passé dans l’hôpital dont il l’a extirpé. Optant pour un simple dialogue en champ contre-champ, Druckmann et Straley misent à nouveau sur leur écriture et la prestation de leurs acteurs pour faire vivre la scène. Ellie écoute le récit de Joel et sans rien laisser paraître sur son visage, ne lui offre qu’un laconique «Ok» en guise de réponse. Plus puissante que n’importe quelle scène d’action, cette conclusion laisse ainsi aux joueurs le soin de l’apprécier comme ils l’entendent tout en remettant en avant les fondamentaux de The Last of Us : créer l’émotion et susciter la réflexion, choses dont très peu de blockbusters vidéoludiques peuvent se targuer.
En soi, The Last of Us s’apparente plus à un film, du point de vue narratif, et reflète les ambitions cinématographiques de Naughty Dog. Avec ce titre, le scénariste Neil Druckmann conçoit un jeu plus personnel à l’intérieur d’une structure de AAA. En choisissant un angle plein de noirceur, presque nihiliste, le jeu synthétise ce besoin d’aller plus loin, de prouver qu’il est possible de concilier grandes ambitions artistiques et écriture intimiste. Avec TLOU, les Californiens positionnent leur oeuvre au niveau de ses illustres modèles et cherchent en quelque sorte à anoblir le jeu vidéo qui n’a plus à rougir de la comparaison avec le septième art.
Après un tel voyage, difficile de faire mieux. Sept ans plus tard, The Last of Us Part II s’imposera pourtant à son tour comme un jeu d’exception malgré diverses polémiques liées au scénario ou bien encore aux conditions de travail du studio. Celles-ci, datant d’Uncharted 4, seront synonymes de longues périodes de crunch qui pousseront Bruce Straley au départ en 2017, soit la même année que Christophe Ballestra.
L’Abby ne fait pas le moine
Le développement de The Last of Us : Part II n’est donc pas de tout repos et si il porte en lui les stigmates d’un développement compliqué et harassant, le titre ne laissera à son tour pas une once de répit aux joueurs. Cette suite est sans doute le projet le plus personnel de Neil Druckmann qui, tout auréolé du succès de ses précédents jeux, choisit plus que jamais de raconter l’histoire qui lui tient à cœur en abordant des thématiques comme la vengeance ou bien encore la religion et ce qu’elle a de plus réconfortant comme de plus pernicieux. Epaulé par Hally Gross (Westworld), Druckmann va concevoir un jeu de miroirs entre l’histoire d’Ellie et celle d’Abby et ce jusqu’à appliquer méthodiquement des renvois entre les scènes des deux femmes, liées par la violence et l’aveuglement d’une quête obsessionnelle.
Généreux jusqu’au boutisme, le jeu traîne malheureusement en longueur lors de son dernier acte qui profite néanmoins d’une fin intéressante et clivante, à l’image de thèmes soulevés ou de la personnalité de plusieurs de ses personnages qui auront valu aux créateurs, critiques acerbes et review bombing. Impossible de cautionner cette façon de faire même si elle ne fait que mettre en avant la façon dont certains fans se sont appropriés la série au point de ne pouvoir imaginer qu’elle prenne un chemin diffèrent de celui qu’ils ont imaginé.
Et pourtant, c’est clairement l’idée de Naughty Dog. Plutôt que de capitaliser sur de multiples attentes, le studio opère un virage à 180° en désirant mettre le joueur mal à l’aise. Il entend ainsi le surprendre et ne souhaite nullement rallier tout le monde à sa cause. Cet épisode est à nouveau intimement lié à Neil Druckmann qui souhaite raconter ce qu’il a puisé au plus profond de son être et si pour aller au bout de ses convictions, il doit laisser en chemin de nombreuses personnes sur le bas-côté de la route, et bien soit !
Plus qu’aucun autre jeu du studio, The Last of Us : Part II assume donc ses choix au risque de décevoir et donc de voir ses ventes baisser. Alors qu’Uncharted faisait rêver avec son exotisme, ses femmes splendides et son héros cabotin, The Last Us : Part II en est son parfait opposé. Bien que militant chacun à leur manière pour cette vision d’auteur, Uncharted 4 et Part II n’en représentent pas moins le Yin et le Yang. Là où Uncharted accordait un avenir lumineux à ses personnages, The Part II leur offre un monde violent où la moindre trace d’espoir peut très vite se muer en désespoir. Druckmann va d’ailleurs jusqu’au bout de sa vision, aussi bien à travers son récit que ses héroïnes, très loin des standards qu’on a l’habitude de voir dans le jeu vidéo. Bien plus nuancées, devant combattre leurs pulsions, Ellie et Abby ne cesseront de souffrir physiquement et mentalement pour mener à bien leur quête.
Bien plus sombre que le premier volet, The Part II ose également l’impensable en tuant dès le départ Joel dans une scène qui aura marqué par sa violence et sa soudaineté. Si la mise en place des événements laisse à désirer, il faut reconnaître aux scénaristes l’idée brillante consistant à nous faire incarner en amont sa meurtrière, autrement dit Abby. Par ce procédé, le titre provoque un sentiment très fort de malaise, de colère, de rejet chez le joueur vis à vis de celle-ci d’autant que la mise à mort de Joel se fait alors qu’on incarne Ellie. Cette idée n’est bien entendu pas innocente et servira la structure du jeu nous proposant d’incarner à tour de rôle les deux femmes pour comprendre leurs motivations respectives et ne jamais positionner l’une ou l’autre comme la véritable héroïne de l’aventure. C’est sans doute l’une des forces de cette Part II qui nous fait à nouveau douter des choix d’Ellie dans sa volonté farouche de se venger coûte que coûte au point de sacrifier le bonheur que Dina lui offre.
Jouer à The Last of Us : Part II, c’est accepter de souffrir, chose plutôt inhabituelle quand on parle d’un jeu vidéo. Pourtant, ce ressenti est encore plus vrai qu’avec son prédécesseur puisque nous faisant incarner la proie qu’on aimerait traquer (et éliminer) sans avoir la possibilité de refuser l’invitation. Druckmann nous force à prendre la manette lorsqu’on incarne Abby, nous force à nous faire violence afin de nous offrir deux points de vue dont un qu’on souhaite ardemment éluder car allant à l’encontre de ce que le premier jeu a construit.
Rien n’est blanc ou noir dans The Last of Us : Part II, tout est nuances de gris et par là même sujet à caution, qu’on parle ici d’Ellie ou d’Abby. Au delà de son aspect ludique et sa technique impressionnante, ce deuxième épisode ne prend jamais le joueur par la main et l’invite à se questionner continuellement sur les actes des deux femmes. Si il est tentant et naturel de se ranger du côté d’Ellie, d’autant que le titre nous fait revivre de magnifiques moments d’émotions via des flash-backs mettant en scène la jeune femme et Joel, il en fera de même pour Abby afin de troubler le joueur en le faisant douter de ce qu’il croyait acquis. A nouveau, The Last of UsPart II ne cherche nullement la solution de facilité. Il préfère au contraire nous bousculer, nous faire réagir jusqu’à nous faire incarner un personnage qu’on ne peut que détester en tout premier lieu. Osé et dangereux au risque encore une fois de provoquer un rejet de la part des fans.
Portant bien haut l’étendard LGBT, du féminisme et l’envie d’inclusion, Druckmann et Gross manquent peut être parfois de subtilité mais parviennent à rendre très crédible la relation entre Ellie et Dina et à éviter qu’Abby ne soit qu’un antagoniste sans épaisseur. Si plusieurs joueurs trouveront cette approche un brin opportuniste voire racoleuse, n’oublions pas qu’elle s’inscrit dans la suite logique du premier volet, qu’Ellie a grandi et que le physique masculinisé d’Abby est représentatif de la carapace qu’elle a dû se forger pour affronter tout ce dont ce monde post-apo a de plus impitoyable. D’ailleurs, la violence qui en découle est intimement liée à l’univers de The Last of Us, dans ce qu’il a de plus abject, de plus cru. Qu’on tolère ou non, la violence a ici du sens, elle fait partie de ce monde où plus grand chose n’a de valeur, à commencer par la vie d’autrui.
A travers ce chaos ambiant, le jeu prend également le temps d’aborder certains sujets de société. Par le biais de Lev et son obligation de fuir la secte des Séraphites à cause de son identité transgenre, le titre met en avant la question de l’exclusion. Forcé de fuir, Lev ne remet pourtant jamais en cause les préceptes de sa Prophétesse, ceci nous incitant à réfléchir au rapport entre la religion et l’individu, la place qu’elle occupe dans nos vies. Bien entendu, libre au joueur de ne profiter que des phases de gameplay ou du somptueux visuel mis à disposition mais ce serait minimiser le fond d’un jeu désirant ardemment aller plus loin que ce que la plupart de ses homologues proposent la plupart du temps.
Politisé et engagé, Part II joue une fois de plus un jeu dangereux, surtout si on prend en compte les objectifs de vente qu’on imagine énormes. Il ne faut donc pas minimiser l’implication de Sony PlayStation qui a validé le projet en permettant à Naughty Dog de sortir le titre qu’ils avaient en tête. Accepter de revoir en partie la formule gagnante est une chose mais entériner un scénario qui prend le contre-pied de ce que beaucoup attendent de lui en est une autre.
Tout en faisant à nouveau appel à une brochette de comédiens confirmés, dont Shannon Woodward (Elsie Hughes dans Westworld), Laura Bailey et Jeffrey Wright (La Jeune Fille de l’Eau, Mourrir Peut Attendre, Westworld) complètent le casting, Neil Druckmann soigne à nouveau sa réalisation, son rythme, en s’amusant à déconstruire tout ce qu’on s’imaginait savoir afin qu’on puisse poser un regard neutre lors du dernier arc symbolisé par l’inévitable rencontre entre les deux femmes. Une épreuve douloureuse mais oh combien salutaire pour amener une conclusion à même de nous faire retenir notre souffle en espérant que le choix de l’auteur s’accorde cette fois avec notre propre ressenti.
A l’image du premier épisode, The Part II est un concentré d’émotions : la colère, la joie, le dégoût, la frustration. Impossible de ne pas vibrer au grès de sa progression, difficile de garder pour soi tout ce qu’on ressent. Ces réactions sont synonymes d’une véritable expérience qui va bien au delà de sa capacité technique à nous éblouir. Le jeu de Naughty Dog ne nous fait jamais de cadeau et c’est aussi pour ça qu’on l’aime ou qu’on le déteste et qu’encore aujourd’hui, on adore en discuter. La marque des grandes œuvres.
Naughty Dog s’est ainsi fait le chantre d’une autre façon de concevoir le jeu d’action, désireux de toucher le plus de monde sans pour autant sacrifier ses acteurs et leurs destins sur l’autel de la simplicité. Pour autant, on peut se demander de quoi sera fait l’avenir de la société et si cette uniformisation dans la narration, qu’on ressent déjà depuis plusieurs années au sein des Studios Playstation, est une bonne chose. Plus puissant que jamais, Neil Druckmann a certes énormément apporté à Naughty Dog mais sa vision n’est-elle pas en train de lentement phagocyter la créativité des autres studios ? Difficile de trancher d’autant que la méthode ne cesse de porter ses fruits, qu’on officie dans le post-apo (Days Gone) ou dans l’heroïc fantasy (God of War).
Mentionnons également qu’Uncharted et The Last of Us seront prochainement adaptés, au cinéma pour le premier, et sur HBO pour le second. Le film Uncharted, en gestation depuis presque 13 ans et mettant en vedette Tom Holland (Nathan) et Mark Walhberg (Sully), devrait logiquement se concentrer sur l’action. Présenté comme l’origin story de Nathan Drake, le long métrage de Ruben Fleischer (Bienvenue ZombieLand,Venom) s’émancipera toutefois des jeux afin de ne pas réciter à la lettre ce qui a déjà été vu et fait. De son côté, la Saison 01 de TLOU, chapeautée par Neil Druckmann et Craig Mazin (la mini-série Chernobyl), adaptera le premier volet tout en ne suivant pas l’intrigue à la lettre.
Les deux sagas phares du studio s’étant toujours nourries du cinéma, cette transposition à l’écran n’est qu’un juste retour des choses, surtout au regard de leurs univers on ne peut plus visuels ne demandant qu’à s’épanouir sur d’autre supports. Cette expérience influera-t-elle à son tour sur les prochaines productions de Naughty Dog ? Possible et bien qu’il y ait peu de chances que le studio opte, à l’image de Remedy, pour un format cross-media (timidement initié dans Alan Wake puis approfondi avec Quantum Break) alliant le live action et le jeu vidéo, on ne peut qu’espérer que cette volonté de mêler entertainment et vision d’auteur débouche sur de nouvelles franchises, de nouvelles façons de raconter des histoires et le souhait de sortir le joueur de sa zone de confort. Vaste projet, bâti sur des prises de risques peu appréciées des financiers, mais dont le jeu vidéo ne peut que ressortir grandi.
Si le Tome 10 d’Outlaw Players était déjà très chargé en action, le Tome 11 va encore plus loin. Le trait de Shonen explose dans tous les sens du terme et l’auteur laisse libre cours à son talent en terme de mise en scène et de lisibilité. Le résultat est ébouriffant et témoigne une fois encore de l’évolution du trait de l’auteur et de ses influences mangas/animes parfaitement digérées quand il s’agit d’opposer à nos héros des adversaires de taille.
Faisant suite à l’affrontement avec Daihknov et Leeban, Taargis, l’un des trois généraux au service de l’impératrice Elica, ne perd pas de temps et affronte Leni dans la foulée. S’étalant sur deux chapitres entiers, le combat est d’une brutalité et d’une beauté à couper le souffle. Shonen déploie tout son talent pour mettre en valeur les techniques des deux combattants et c’est à travers de pleines pages que les passes d’armes se suivent, engendrant destruction à grande échelle et pouvoirs démesurés. Leni déploie ainsi son plein potentiel tout en restant toujours aussi mystérieuse quant à son véritable rôle au sein de cette histoire. A peine a-t-on le temps de souffler, qu’on retrouve Sakuu qui de son côté, va également avoir fort à faire avec une créature semblant toute droite issue de l’univers de Berserk : Abel. Le démon, armé d’une gigantesque épée, s’avère aussi massif que rapide et ici aussi, les planches du manga semblent trembler tant la chorégraphie sacralise la puissance des deux adversaires, Sakuu semblant au passage maîtriser de plus en plus les atouts de sa relique.
Sans révéler la fin de l’affrontement, voyant intervenir un allié des plus précieux, précisons que ce tome amène rapidement au détour d’un dialogue entre Ju-bei et Jen, le fait que cette dernière aura elle aussi un rôle plus important à jouer que ne laisse supposer son apparence et son statut de relique. On espère d’ailleurs à ce sujet que toutes les pistes entrouvertes serviront vraiment l’intrigue, ou que l’aspect géopolitique, fugacement survolé en évoquant le royaume de Genopol devant faire face à un nid d’Abominations, sera plus développé par la suite. Ce n’est toutefois ici pas le sujet même si ce Tome 11, entièrement dévolu à l’action, ajoute par petites touches certains éléments narratifs liés au monde de Thera et à d’étranges capacités de joueurs qu’ils soient humains ou contrôlés par le jeu. Une façon d’étirer ce fil rouge qui devra toutefois être correctement traité par Shonen. Laissons lui le temps de la réflexion et de notre côté, savourons ce onzième tome aussi impressionnant dans ses découpages, ses designs de créatures que son rythme effréné.
Traité de nombreuses fois à travers le cinéma (Un Jour sans Fin, Edge of Tomorrow, Triangle) et le jeu vidéo (The Legend of Zelda : Majora’s Mask, Lightning Returns : Final Fantasy XIII, The Sexy Brutal), la boucle temporelle peut être un argument de poids pour un scénario tout comme un élément dangereux si elle n’est pas utilisée avec intelligence. Consistant à revoir constamment la même chose il faut alors ruser pour innover à chaque boucle tout en faisant avancer l’histoire jusqu’à sa conclusion. Exercice difficile, périlleux même, qu’entreprend également 12 Minutes.
Un homme rentre chez lui et y retrouve sa petite femme. Ils échangent quelques banalités puis finissent par passer à table afin de fêter une bonne et heureuse nouvelle. Tout à coup, quelqu’un sonne à la porte. Le visiteur, qui se prétend policier, entre dans l’appartement puis tout s’enchaîne très vite. Il menotte le couple, menace la femme et lui ordonne de lui remettre une montre. L’homme arrive à se détacher, entreprend de défendre sa compagne mais prend un coup de poing qui le met à terre. C’est alors que s’opère un retour en arrière de quelques minutes, alors que l’homme vient juste de rentrer chez lui. Bienvenue dans 12 Minutes. Si les quelques lignes qui précédent vous ont intrigué, sachez qu’elles ne représentent que l’une des nombreuses boucles temporelles que vous allez devoir vivre pour tenter d’enrayer le piège temporel duquel vous êtes prisonnier.
L’homme, c’est vous, et il va vous falloir désormais découvrir la vérité que cache votre femme et l’identité du policier en voulant à sa vie afin d’espérer retrouver votre quotidien. Fortement inspiré par le Septième art (Shining, Fenêtre sur Cour, Filth…), le thriller de Luis Antonio repose également sur les prestations de ses trois acteurs, Daisy Riley, James McAvoy et Willem Dafoe. Pourtant, malgré des références de premier choix, difficile de s’impliquer émotionnellement dans 12 Minutes tant le jeu subit son concept plus qu’il ne l’embrasse avec intelligence. En effet, à mesure que les boucles se suivent, l’intérêt s’étiole à cause de mécaniques maladroites et d’une construction assez lourde ne parvenant jamais à véritablement insuffler assez de variations dans les situations pour exciter la curiosité. Ainsi, pour découvrir le véritable pourquoi du comment à travers l’une des trois «vraies» fins, vous devrez enchaîner entre 8 et 9 boucles (chacune durant 8 minutes en temps réel) pour glaner suffisamment d’informations et ainsi progresser en abordant de nouveaux sujets de discussion avec votre femme. Ce faisant, vous pourrez alors utiliser certains objets qui eux-mêmes déclencheront certaines réactions dans les boucles suivantes jusqu’à découvrir le fin mot de l’histoire.
Le problème de 12 Minutes tient donc autant à son scénario qu’à son plot twist tiré par les cheveux mais aussi à l’obligation de subir véritablement ces incessants retours nous mettant systématiquement face à la même scène. Un simple baiser de votre femme ne sera alors plus vu comme un geste d’amour (pourtant important puisque le but est de sauver votre bien aimée) mais comme un élément de game design, impossible à éviter et nous faisant perdre quelques secondes alors qu’on sera déjà dans une logique, bien plus pragmatique, de recherches d’indices. Le bruit caractéristique de l’ascenseur arrivant à notre étage, et donc synonyme de l’arrivée du policier, passera d’un gimmick anxiogène à un élément nous renseignant simplement sur le fait qu’il nous reste quelques secondes pour faire telle ou telle tâche, aborder tel ou tel sujet. Certes, il est possible d’accélérer les dialogues déjà abordés ou même le temps (en allant se coucher sur notre lit) mais malgré cela, 12 Minutes perd rapidement de son attrait.
Si on lui pardonnera son aspect technique limité, peu important dans le cadre de ce huis clos temporel, on se montrera en revanche plus critique sur l’élaboration même de l’ensemble ne parvenant jamais vraiment à nous étonner, à deux ou trois exceptions près. L’idée de prendre comme point de départ une scène du quotidien pour bifurquer dans le Fantastique est certes commune à de nombreuses œuvres mais encore faut-il savoir l’alimenter pour susciter l’envie chez le spectateur/joueur. Bien que le jeu cherche à brouiller les pistes en puisant dans le rêve et la réalité, sa structure brouillonne (au delà d’une certaine moralité assez dérangeante mais néanmoins intéressante à traiter) le fait reculer de deux pas quand il en avance d’un d’autant que les personnages eux-mêmes donnent l’impression d’avoir été posés là comme les acteurs d’une pièce attendant que le rideau tombe. Manquant d’épaisseur malgré un background dévoilé petit à petit, le couple ne génère jamais l’empathie recherchée d’autant qu’il faut avouer que les comédiens leur prêtant leurs voix ont fourni une prestation neutre voire assez quelconque. Au final, 12 Minutes se montre aussi intriguant dans ses premières boucles que décevant dans les suivantes, la faute à un concept digéré sans être pour autant maîtrisé.
Conclusion
Grâce à un concept excitant, 12 Minutes avait de sérieux arguments pour convaincre. Malheureusement, passé les premières boucles temporelles, il s’avère maladroit dans sa progression en semblant prisonnier de son idée motrice, et peu inspiré dans son histoire, certes intrigante mais jamais servie par une réalisation à la hauteur, un casting vocal 5 étoiles peu inspiré et une écriture à même de créer l’empathie désirée ou l’envie de découvrir l’ensemble des fins disponibles.
Portant plus que jamais son titre avec la pandémie de COVID, le dernier James Bond de Daniel Craig se sera longuement fait attendre. Ultime baroud d’honneur pour le blondinet qui aura redéfini le personnage avec brio, Mourrir Peut Attendre avait la lourde tâche de faire oublier Spectre, vide et peu inspiré, tout en offrant à Craig un dernier opus à la hauteur de son charisme. Pari gagné même si le long-métrage de Cary Joji Fukunaga aurait gagné à faire quelques concessions.
Dès son premier plan, Mourir Peut Attendre affiche un côté référentiel qui ne le quittera pas durant 2h43. Renvoyant directement à la fin d’Au Service Secret de sa Majesté, James et Madeleine roulent sur une route de montagne, affichant une quiétude et un amour réciproque, sur fond du We Have All the Time in the World de Louis Armstrong. Tranchant radicalement avec l’image à laquelle nous a habitué 007, la séquence s’offre également une parenté avec le film de Peter Hunt pour mieux coller à la fin de Spectre. Profitant des somptueux panoramas de la ville italienne de Matera, l’introduction renoue également avec le passé de James lorsque ce dernier vient se recueillir sur la tombe de Vesper, en guise d’ultime adieu à sa bien aimée avant de voguer vers de nouveaux horizons sentimentaux. Bien entendu, le calme cède rapidement à la tempête déchaînée par Ernst Stavro Blofeld, pourtant emprisonné dans les murs du MI6.
Alternant entre passé et présent, l’ouverture de ce nouveau James Bond se montre en tout point virtuose et totalement raccord avec le travail effectué depuis Casino Royale. Plus intimistes, mais aussi plus sombres, plus brutales, les premières minutes permettent au réalisateur de la Saison 01 de True Detective d’afficher de grandes ambitions, autant dans la forme que le fond. Malheureusement, passé cette longue et très efficace introduction, le film revient vers quelque chose de plus didactique en essayant coûte que coûte de conclure tout ce qui doit l’être avant que Daniel Craig ne cède définitivement la place.
Mourir Peut Attendre devient alors une sorte de créature hybride essayant de rendre hommage à son héritage, ce qu’il a lui même créé tout en se voulant actuel (à travers, notamment, ses personnages féminins) et divertissant.
En un sens, il y réussit mais au prix d’une histoire malheureusement assez décevante servie par des personnages effacés à l’image de Safin (Rami Malek), méchant dans la grande tradition Bondesque, propriétaire d’une base renvoyant avec délice à celles des premières heures de la saga et soutenu par Primo, son homme de main aussi efficace durant l’introduction que secondaire dans les deuxième et troisième actes.
On reprochera également aux scénaristes de ne pas avoir accordé suffisamment d’importance à Nomi (excellente Lashana Lynch), nouvelle détentrice du matricule 007 après le départ de James Bond. Une idée très intéressante, dans l’air du temps, pour une exécution maladroite, Nomi étant vite reléguée au rang de faire-valoir à l’intérieur du MI6 et n’ayant le droit qu’à deux scènes d’action, courtes qui plus est. Même son de cloches avec le personnage de Paloma (Ana de Armas), agent de la CIA (prétendument) sans expérience mais explosant l’écran (dans tous les sens du terme) lors d’une incroyable scène d’action, élégante, Bondesque au possible mais ne débouchant sur rien de concret. On comprend alors que les auteurs ont préféré se concentrer sur Madeline (Léa Seydoux) afin, de conclure son arc narratif. Cela a du sens mais dénote beaucoup trop de ce besoin irrépressible de tout boucler quitte à sacrifier certaines parties de l’histoire en donnant l’impression d’assister à une sorte de défilé durant lequel chaque personnage (M, Q, Miss Poney Penny, Felix Leiter, Blofeld…) y va de sa petite apparition, aussi fugace soit elle.
Reste que Mourir Peut Attendre propose un vrai spectacle, certes inégal, plutôt timoré dans son action très académique et en cela très loin de Casino Royale, mais toujours mû par l’envie d’offrir une qualité visuelle, que ce soit à travers ses magnifiques décors, la très belle photo de Linus Sandgren (First Man) ou sa réalisation maîtrisée.
Conclusion
Sans égaler Casino Royale ou même Skyfall, Mourir Peut Attendre constitue une très bonne conclusion pour Daniel Craig. Si on eut apprécié que les scénaristes trouvent un meilleur équilibre entre l’histoire à proprement parlé et le besoin de conclure tout ce qui était resté en suspend à la fin de Spectre, le film de Fukunaga n’en reste pas moins divertissant, émouvant et visuellement éclatant.
Née en 1977, la série de comic-books What If… aura attendu l’arrivée de Disney+ pour être déclinée en série d’animation. Une évidence, serait-on tenté de dire, tant le concept de multivers, central dans la Phase IV, se prête parfaitement à l’exercice qui, rappelons-le, est canon et donc lié au MCU. Mais au-delà des possibilités offertes par un tel concept, les 9 épisodes de cette première saison sont-ils suffisamment efficaces sortis d’un fort aspect fan service ?
Globalement, cette première saison remplit parfaitement son office bien que les épisodes ne soient pas tous de qualité égale. Logique en un sens puisque chaque segment (à l’exception des deux derniers) se suffit à lui même. Optant pour des ambiances très différentes en misant sur l’humour, l’action ou un côté un peu plus intimiste, les épisodes se suivent et ne ressemblent pas même si l’ensemble repose sur un concept similaire en nous présentant des événements connus (puisque relayés à l’intérieur du MCU) qui se sont passés différemment sur des Terres parallèles.
Il est donc inutile de le nier, la série brosse le fan dans le sens du poil en lui présentant des amorces connues pour mieux les modifier afin de mettre en avant des personnages secondaires ou d’intervertir les rôles. Le résultat est, comme on pouvait s’en douter, plutôt réjouissant même si on aurait apprécié une animation mélangeant 2D et 3D plutôt que de la full 3D n’arrivant pas toujours à reproduire des mouvements de corps fluides ou des expressions faciales de qualité. Toutefois, la mise en scène de la plupart des épisodes étant d’un très bon niveau, elle compense les carences précitées. On passe donc un très bon moment en (re)découvrant des histoires déjà contées tout en appréciant de retrouver certains personnages dans des rôles différents.
Episode 01 :Et si… Captain Carter était devenue le premier Avenger ?
Durée : 31 minutes
Le premier épisode se déroule en 1943 et s’intéresse à Captain America ou plutôt à l’agent Carter qui va utiliser le serum qui a transformé Steve Rogers en l’icône qu’on connait. Une excellente introduction, très dans l’air du temps, et proposant de revivre l’affrontement entre les Alliés et l’Hydra. Un soupçon de romantisme, une pincée d’humour, des séquences d’action qui font mouche, ce premier segment donne le ton et profite d’un bon rythme, du charisme de Peggy et du duo Stark/Rogers pour ré-imaginer la naissance d’Iron Man.
Episode 02 :Et si… T’Challa était devenu Star-Lord ?
Durée : 31 minutes
Ambiance science-fiction pour ce deuxième segment puisqu’on y côtoie les Gardiens de la Galaxie ainsi que T’Challa, aka Black Panther dans notre réalité, endossant le rôle de Star Lord. Revenant sur la relation entre T’Challa et Yondu qui va devenir son mentor, l’épisode opère rapidement un bond dans le futur pour réécrire l’histoire avec Le Collectionneur. Jouant à fond la carte du concept, l’épisode s’amuse à nous présenter un Thanos à l’opposé de celui qu’on connaît ou les membres des Gardiens dans des rôles différents. Un peu facile diront certains mais l’idée s’avère amusante bien que l’épisode se conclut de manière un peu poussive.
Episode 03 :Et si… le monde avait perdu ses plus puissants héros ?
Durée :30 minutes
Les Avengers meurent les uns après les autres et rien ne semble pouvoir arrêter le mystérieux tueur. Tranchant en terme d’ambiance avec les deux précédents épisodes, non sans oublier d’y injecter une dose d’humour, le troisième opus de What If… maîtrise son sujet et tient en haleine jusqu’à sa surprenante conclusion.
Episode 04 :Et si… Docteur Strange avait perdu son cœur au lieu de ses mains ?
Durée :34 minutes
Ici aussi, un épisode bien diffèrent, plus sombre, plus tragique et entièrement pensé autour d’une boucle temporelle que s’inflige le Docteur Strange pour tenter de sauver sa femme. Abordant l’inéluctabilité du destin, les limites de ce qu’un héros peut accomplir et les choix d’un homme pour récupérer ce qu’il a de plus précieux au monde, l’épisode nous présente ce qu’aurait pu devenir Docteur Strange s’il avait cédé aux arcanes les plus sombres de la magie. Un excellent exercice de style.
Episode 05 :Et si… des Zombies envahissaient la Terre ?
Durée :30 minutes
Bien que s’inspirant de la très populaire série Marvel Zombies, cet épisode n’en reste pas moins décevant, ne serait ce que par son approche bien trop humoristique qui sied mal à cet univers. Les morceaux de bravoure étant également assez maladroits et l’histoire peu inspirée, l’ensemble fonctionne moyennement d’autant que l’histoire précipitée peine à convaincre.
Episode 06 :Et si… Killmonger avait sauvé Tony Stark ?
Durée :31 minutes
Une fois n’est pas coutume, c’est un vilain qui est au centre de cet épisode. On y retrouve en effet Killmonger (l’antagoniste de Black Panther) qui, après voir sauvé Tony Stark, va s’allier avec ce dernier. Tout l’attrait de cet épisode étant de savoir si Killmonger œuvre véritablement du côté de la justice, je ne m’appesantirai pas sur le scénario. Bien que ce segment soit loin d’être le meilleur de cette première fournée, reconnaissons lui tout de même un aspect un peu plus exotique dû au fait qu’une partie de l’intrigue se déroule au Wakanda et au développement plutôt intéressant de la personnalité de Killmonger.
Episode 07 :Et si… Thor avait été fils unique ?
Durée :32 minutes
Malgré un affrontement parfaitement mis en scène entre Thor et Captain Marvel, l’épisode se montre malheureusement un peu lourdingue à cause d’un humour omniprésent centré autour de la nature extravagante du fils d’Odin et sa propension à toujours vouloir faire la fête. Très vite agaçants, héros comme épisode perdent de leur attrait d’autant que les personnages secondaires (à commencer par Jane Foster) se résument à leur plus simple expression en essayant d’offrir un contre-poids à la personnalité de Thor.
Episode 08 :Et si… Ultron avait gagné ?
Durée : 28 minutes
L’un des meilleurs épisodes de cette première saison. Vision, devenu Ultron, acquière les Pierres de l’Infini et devient vite conscient de la présence du Gardien (l’être cosmique relatant les faits en tant que narrateur de chaque épisode) et de fait, de la présence d’autres univers. S’en suit une course contre le temps afin d’empêcher Ultron d’investir notre propre réalité. Rythmé, proposant le meilleur affrontement de cette saison qui use au mieux du concept des multiples réalités, l’Episode 8 est aussi excitant dans ce qu’il montre que ce qu’il sous-entend pour l’avenir de la Phase IV.
Episode 09 :Et si… Le Gardien avait rompu son serment ?
Durée :33 minutes
Formant un diptyque avec l’Episode 08, l’ultime épisode de la Saison 01 de What If… se devait de terminer l’intrigue tout en consolidant ce qu’il avait mis en place. C’est peu ou prou ce qu’il parvient à faire, en faisant intervenir notamment l’ensemble des héros vus dans les épisodes précédents. La conclusion, dans la grande veine de ce que nous propose le MCU depuis des années, n’en reste pas moins un brin timorée et finalement assez classique.
Conclusion
Cette première saison de What If… coche à peu près toutes les cases et si on aurait aimé davantage de prises de risques, ou une animation un peu plus fluide, son visionnage reste très agréable. Bien qu’inégaux, les épisodes conservent quasiment tous ce petit quelque chose de réjouissant, que ce soit dans l’action ou quelques surprises et idées bien amenées. Avant tout pensée pour faire plaisir aux fans, la série reste bien orchestrée, dispose d’une conclusion fortement liée aux prochains films du MCU et préfigure, on l’espère, une Saison 02 qui n’aurait pas peur d’aller encore plus loin dans son principe de réécriture des événements passés.
Bien que sortant un an après la version PS4, Ghost of Tsushima n’a rien perdu de sa superbe sur PS5. Au contraire, le titre de Sucker Punch (InFamous, Sly Raccoon) retrouve un nouvel souffle grâce aux capacités techniques de la machine de Sony tout en affichant un visuel toujours aussi enchanteur ainsi qu’un contenu enrichi.
Très classique dans le fond, Ghost of Tsushima avait réussi à tirer son épingle du jeu en s’appuyant sur son somptueux visuel faisant référence à moult films issus de la culture japonaise et hong-kongaise. Terriblement beau, reposant, et soutenu par une magnifique bande-son et un gameplay très efficace, le titre de Sucker Punch possédait un côté enivrant qu’on retrouve bien entendu dans cette Director’s Cut affichant des graphismes en 4K et un framerate en 60 fps. Techniquement solide sur PS4, le titre se transforme en véritable roc sur PS5 grâce à des temps de chargements quasi absents ou bien encore l’utilisation de la DualSense, timide mais efficace, notamment lors du tir à l’arc. Précisons également que les fonctions gyroscopiques de la manette seront mises à profit dans les nouveaux sanctuaires des chats où vous devrez jouer un air de flûte pour faire venir les félins en suivant une variation symphonique visible à l’écran. Ingénieux et totalement raccord avec l’esprit zen véhiculé par le jeu.
Toutefois, ce qui constitue le plus gros point d’intérêt de cette Director’s Cut reste les différents ajouts de gameplay et bien entendu l’île d’Iki, accessible dès la fin de l’Acte 2 de la trame principale. Ne changeant nullement les fondamentaux du titre, cette nouvelle zone, outre le fait de proposer un arc narratif inédit, saupoudre l’ensemble de quelques idées nouvelles. Ainsi, il sera désormais possible de charger vos ennemis en étant sur votre monture, pour peu que vous ayez débloqué au préalable cette technique, ou bien encore de verrouiller ces derniers. Une bonne chose d’autant que les rangs Mongols se voient dotés d’un nouveau type d’ennemi, les Shamans, qui à l’instar des War Crier de Mad Max, ont la capacité de booster les capacités des guerriers alentours. Inutile de préciser qu’il conviendra de les éliminer en premier lieu afin d’éclaircir plus rapidement les rangs ennemis.
On notera également le fait de pouvoir désormais stocker les munitions supplémentaires dans des sacoches de son cheval et ainsi refaire le plein une fois en selle. Pratique. Pour vous aider dans la reconquête de l’île d’Iki, il vous sera aussi possible d’obtenir de nouvelles armures en bouclant certaines quêtes annexes. Bien celles-ci tournent à nouveau, pour la plupart, autour de la prise de villages tenus par des bandits/Mongols, certaines s’avèrent plutôt bien écrites et complémentaires de celles principales. D’ailleurs, en s’attardant sur le passé de Jin, ces dernières jettent un regard nouveau sur les agissements de son père, tout ceci étant accentué par différents flash-backs associés à des totems disséminés sur l’île ou bien encore les visions de l’Aigle (aka Ankhsar Khatun, le nouvel antagoniste de ce contenu) qui mettent en avant les méthodes expéditives du samouraï, qu’elles soient ou non légitimées par son code d’honneur, afin de fragiliser notre héros. Intégrées au récit, ces visions pourront également intervenir lors de moments plus anodins (chute, le fait de se cacher…), ceci leur conférant un aspect aléatoire accentuant de fait le côté déstabilisant de la chose. A contrario, on regrettera malheureusement que Sucker Punch ait abusé de la chose en en rajoutant beaucoup trop au point que lesdites visions finissent par devenir des plus intrusives.
Pour autant, le guerrier qui sommeille en vous devra faire fi de ces hallucinations pour maîtriser l’art du combat. Comme je le disais, certaines armures pourront grandement vous simplifier la tâche. Si je vous laisse le plaisir de la découverte, je ne saurai que trop vous conseiller celle de Sarugami, particulièrement efficace car augmentant la fenêtre de parade parfaite. Un véritable atout, notamment lors des Duels, surtout dans les plus hauts modes de difficulté. Enfin, vous pourrez aussi profiter de duels au bokken pour parfaire vos techniques de contre et d’esquive ainsi que de challenges à l’arc à la difficulté plutôt élevée pour qui recherche l’Or.
En plus de cet contenu inédit (vous réclamant un peu plus d’une dizaine d’heures si vous voulez le boucler à 100%), l’excellent mode multi Légendes se voit lui aussi doter d’un nouveau mode. Après Histoire, Survie et Défis, le mode Rivaux, en 2V2, vous propose de faire équipe avec un compagnon et d’éliminer quantité d’ennemis afin de récolter le plus de magatama pour réaliser des offrandes afin de déstabiliser vos adversaires. Plus vous aurez de magatama et plus vous pourrez lancer des malédictions puissantes sur l’équipe adverse. Fun bien qu’un peu longuet pour arriver à l’ultime assaut de démons, Rivaux vient compléter les modes existants grâce à son aspect compétitif même si on lui préférera largement le mode Survie.
Conclusion
Si on pourra regretter une mise en scène trop statique et une construction similaire à celle du jeu de base, le nouveau contenu de cette Director’s Cut se savoure tel un met de qualité, saupoudré de plusieurs nouveautés de gameplay, et disposant d’un univers visuel et sonore aussi enivrant que celui de l’aventure principale. Reposant, aventureux, épique, Ghost of Tsushima Director’s Cut éblouie malgré son classicisme, enchante malgré son impression de déjà-vu et finit par nous emporter des heures durant dans une spirale contemplative et guerrière, sans même qu’on s’en aperçoive.
Rien ne semble arrêter Ryan Murphy et Brad Falchuk. Alors que la Saison 10 d’American Horror Story est actuellement diffusée, sort en parallèle la première saison de son spin-off sobrement intitulée American Horror Stories. Sept épisodes, sept histoires se suffisant à elles-mêmes, sept raisons de jeter un coup d’oeil à cette anthologie hésitant pour l’instant entre l’envie de voler de ses propres ailes et son héritage auquel elle est sans doute trop attachée.
Marchant dans les pas de sa grande sœur, American Horror Stories affiche dès le départ la couleur en proposant un double épisode se déroulant dans la Murder House qui servait de lieu principal à la première saison d’American Horror Story. Une entrée en matière assez maladroite puisqu’au delà du lien de parenté (qu’on retrouve déjà dans le titre de la série), l’intrigue s’avère finalement assez classique et un peu forcée en allant jusqu’à faire apparaître certains personnages de la Saison 01 d’AHS.
Par la suite, cette première saison affiche la couleur en abordant des thèmes assez récurrents de l’horreur à travers des intrigues mettant en scène serial killers, monstres et autres démons. Bien que la série ait l’intelligence de varier la durée de ses segments en fonction de ce qu’ils ont à raconter, ils ne sont malheureusement pas tous égaux et s’ils profitent chacun d’un superbe générique d’ouverture dédié (l’une des marques de fabrique d’American Horror Story), le reste s’avère finalement sans surprise même si certains opus disposent de quelques twists sympathiques, sombres ou fortement teintés d’ironie.
Une première saison qui se laisse voir malgré tout même si on attendra beaucoup plus d’originalité de Murphy et Falchuck pour la d’ores et déjà annoncée Saison 02.
Episode 01 : Rubber(wo)Man – Partie 1
Durée : 48 minutes
Se déroulant dans la Murder House de la Saison 01 d’American Horror Story, l’intrigue tourne autour de Scarlett emménageant avec ses deux pères. Bien entendu, elle na va pas tarder à être confrontée à ses phénomènes paranormaux liés au lieu, réputé pour être le plus hanté de Los Angeles. Bien que le couple de parents soit sympathique, que la relation entre Scarlett et Maya soit correctement traitée et que le tout ne manque pas d’humour, cette histoire de vengeance souffre d’un gros sentiment de déjà-vu, surtout pour celles et ceux connaissant AHS, et s’avère très timide en frayeurs et meurtres gratinés.
Episode 02 : Rubber(wo)Man – Partie 2
Durée : 46 minutes
La seconde partie de l’histoire développe un peu les personnages de Scarlett et Maya et s’articule autour de la fête d’Halloween durant laquelle les fantômes piégés dans la Murder House peuvent sortir. L’occasion d’offrir quelques aérations bienvenues au récit et de varier un peu les lieux et meurtres avant de conclure de manière plutôt poétique ce double épisode oscillant entre vengeance et histoire d’amour tragique. Une mise en bouche non dénuée d’intérêt mais bien trop classique au point de réutiliser personnages et fantômes de Murder House, sous couvert d’un fan service un peu trop marqué.
Episode 03 : Drive In
Durée : 41 minutes
Evoquant fortement l’épisode 8 de la première saison de Masters of Horrors, La Fin Absolue du Monde, Drive In s’intéresse à un film censé rendre fou ceux qui ont le malheur de le regarder. Ici aussi, l’histoire reste assez convenue mais la mise en scène ménage ses effets jusqu’à la tuerie annoncée avant de bifurquer vers la traque de son réalisateur pour une conclusion qu’on sent arriver mais qui n’en reste pas moins réjouissante en se permettant même une petite once d’ironie.
Episode 04 : The Naughty List
Durée : 37 minutes
A force de vouloir repousser les limites du bon goût pour engranger toujours plus de followers, quatre influenceurs vont aller trop loin et perdre petit à petit leur communauté. Décidant alors de revenir à un humour plus basique, ils vont s’en prendre à un serial killer déguisé en Père Noël. Outre la critique de certains YouTubers (comme Logan Paul) et des dérives de certains pour atteindre coûte que coûte la notoriété, l’épisode profite du visage buriné de Danny Trejo, toujours à l’aise quand il s’agit de camper des personnages déviants. Si le tout s’offre un joyeux jeu de massacre, l’ensemble manque de piquant pour vraiment marquer les esprits.
Episode 05 : BA’AL
Durée : 49 minutes
Comme son titre l’indique, le cinquième épisode troque meurtriers et autres fantômes pour un démon. Liv Whitley, qui n’arrive pas à avoir un bébé avec son mari, obtient un jour une statuette censée améliorée la fertilité. Le résultat est plus que probant puisque neuf mois plus tard, Liv accouche d’un petit garçon. Malheureusement, alors qu’elle est en pleine dépression post-partum, elle ne va pas tarder à être confrontée à des phénomènes étranges qui vont la faire douter de son état mental. Evoquant dans ses grandes lignes La Malédiction, cet épisode distille une atmosphère bien moins anxiogène mais propose de bonnes idées de réalisation, ainsi que quelques frayeurs et un twistplutôt réussi.
Episode 06 : Feral
Durée : 39 minutes
Dix ans après avoir perdu leur fils lors d’une promenade, Jay et Addy retournent sur le lieu de la disparition après qu’un chasseur leur ait rapporté des preuves de la survie de leur enfant. Outre le fait de troquer les environnements urbains pour un lieu plus ouvert, Feral lorgne du côté de The Descent en évoquant des prétendues créatures qui vivraient recluses dans ces grands espaces américains. Si l’idée avait de quoi exciter, l’exécution se montre un peu timorée malgré un dernier acte plus percutant. Dommage que la conclusion soit un peu facile et manque clairement de substance.
Episode 07 : Game Over
Durée : 48 minutes
Retour pour la troisième fois dans la Murder House en compagnie d’une mère de famille qui y séjourne pour s’imprégner des lieux dans l’optique de concevoir un jeu vidéo usant de la notoriété de la fameuse battisse. Si on ne peut s’empêcher de penser que les scénaristes ont beaucoup trop tiré sur la corde en intégrant ici un aspect «meta», l’épisode s’avère également beaucoup trop redondant en ressassant une énième fois les mêmes histoires de fantômes prisonniers et de malédiction. Une conclusion plutôt décevante à l’image de cette première saison bien trop occupée à aligner les clins d’oeil aux fans d’American Horror Story au détriment du sentiment de peur.
Conclusion
Ne parvenant jamais à acquérir une véritable personnalité, cette première saison d’American Horror Stories provoque peu de frissons et se montre plus occupée à citer sa grande soeur qu’à proposer des scripts originaux. Sans être désagréable, elle se montre simplement trop classique pour susciter un véritable intérêt et ce malgré quelques bonnes idées et une esthétique léchée.
Première saison de l’anthologie Them, Covenant traite du racisme exacerbé anti Noirs sévissant dans les années 50. Marchant dans les pas du cinéma de Jordan Peele (Get Out, Us), elle s’avère aussi fabuleuse dans le fond que dans la forme et parvient à travers ses dix épisodes à mélanger satire sociale et Fantastique avec une véritable maestria.
Installant son intrigue en 1953, Them nous invite à suivre Henry et Lucky Emory, ainsi que leurs deux filles, qui décident de quitter le Sud des Etats-Unis afin d’échapper aux lois Jim Crow, synonymes de ségrégation et de limitations sociales entre Blancs et Noirs. Espérant trouver une plus grande tolérance en Californie, la famille ne va malheureusement pas tarder à vivre un véritable enfer sur une dizaine de jours, au sein de leur nouveau quartier de Compton, entièrement composé de Blancs voyant d’un très mauvais œil l’arrivée de ces «intrus».
S’articulant autour de ses dix épisodes retraçant chacun une journée, cette première saison dépeint un contexte social tendu tout en mélangeant les traumas de la guerre à la perte d’un être cher en passant par le rejet de l’autre. La première grande force de cette saison (se suffisant à elle-même) tient sans doute au fait que son créateur, Little Marvin, a brillamment réussi ce que Jordan Peele n’avait su faire avec sa version de The Twilight Zone, en trouvant le point névralgique entre entertainement, horreur pure et dénonciation, ces éléments se nourrissant constamment l’un de l’autre pour illustrer la folie ambiante, qu’elle émane de chacun des membres de la famille ou de leurs voisins, aussi pervers, effrayants et dangereux que les forces maléfiques se tapissant dans le sous-sol de la maison des Emory.
Parfaitement pensée et construite, usant au mieux de son intrigue bâtie sur une unité de temps réduite amenant un enchaînement rapide des situations, cette Saison 01 s’évertue à dresser le bilan d’une Amérique raciste dont les fondements mêmes semblent avoir puisé dans la religion la force de haïr son prochain dès lors qu’il ne lui ressemble pas en tout point. Ne laissant jamais aux spectateurs un moment de répit, Them subjugue autant qu’elle dégoûte, excite autant qu’elle interroge. Profitant d’une réalisation éblouissante évoquant par moments les cadrages de M. Night Shyamalan, chaque épisode participe à la déconstruction d’une nation, ou du moins d’une partie de sa population, en confrontant chaque membre de la famille à ses démons qu’ils soient ou non issus de leur imagination. De fait, la cellule familiale d’où émane l’espoir et la force de lutter au tout début, finira elle-même par s’écrouler sous le poids des tragédies du passé ou des hallucinations dont seront victimes les deux jeunes filles Ruby et Gracie. Impeccables dans leurs interprétations, à l’image du reste du casting, les deux demoiselles impressionnent, que ce soit Gracie persécutée par Miss Vera, terrifiante vision d’une ancienne maîtresse d’école, lors d’un cours de classe qui tourne au cauchemar ou Ruby, désarmante de tristesse lorsqu’elle annonce à sa seule camarade blanche qu’elle ne veut plus être cette personne laide et qu’elle souhaite plus que tout être comme elle.
Se situant le plus souvent sur la ligne médiane séparant le Fantastique du réel, Covenant, tel un funambule au-dessus du vide, ménage ses effets en ne cédant que très rarement à l’exercice facile du jump scare. La vraie terreur vient ainsi de ce quotidien aseptisé et de ce qui se cache de plus pervers derrière la façade de cette « American Way of Life » prônant l’ouverture d’esprit. Dès lors, au rythme des épisodes, la tension se fait de plus en plus forte, jusqu’à cette éprouvante scène d’Home Invasion de l’Episode 5 ou du somptueux Episode 9 remontant jusqu’aux prémices de l’histoire américaine, dans un magnifique exercice de style en noir et blanc, comme avait si bien su le faire la série Watchmen, tout en revenant sur les origines du mystérieux Black Hat Man.
Naviguant entre les névroses de Lucky et de son mari en proie à leurs propres visions d’épouvante, la série s’ancre dans une réalité malheureusement bien tangible en invitant l’Horreur à travers un sitting de mères au foyer devant la maison des Emory, de Forces de l’ordre pourries jusqu’à l’os ou d’un patron se délectant du pouvoir dont il dispose sur la personne d’Henry.
Ouvertement politisée, Them n’en reste pas moins subtile dans ses propos et parvient au final à conjuguer purs moments de terreur et discours engagé grâce à ses figures horrifiques, à l’image du Tap Dance Man, critique contre la pratique du blackface, très répandue à cette époque, sortes de reflets sinistres et cauchemardesques d’une Américaine blanche prête à tout pour défendre «ses» terres.
Conclusion
Violente, dérangeante, sans concession, Covenant nous met face à l’horreur subie par les Afro-Américains dans les années 50. Usant au mieux de ses métaphores horrifiques pour plonger dans les origines de la société américaine afin d’y dénoncer un racisme latent ne demandant qu’à exploser, cette première saison de l’anthologie d’Amazon Prime indispose autant qu’elle fascine. Visuellement somptueuse, terrifiante, engagée, Them prend le meilleur du cinéma d’épouvante pour en utiliser les codes afin de dépeindre une horreur bien réelle. Le résultat s’avère en tout point captivant.